L’Épître de Jacques

par Neville Smart

 

Table des matières

 

1 Jacques : sa vie et son milieu *

2 Adresse et salutation (1: 1) *

3 Les épreuves (1: 2-12) *

4 La tentation (1: 13-18) *

5 La pratique de la Parole (l: 19-25) *

6 La religion pure et sans tache (1: 26, 27) *

7 L’acception de personnes (2: 1-7) *

8 La Loi Royale (2: 8-13) *

9 La Foi et les Œuvres (2: 14-26) *

10 L’usage de la langue (3:1-12) *

11 La douceur et la vraie sagesse (3: 13-18) *

12 L’adultère spirituel (4: 1-6) *

13 L’humilité précède la gloire (4: 7-10) *

14 La médisance et la parole présomptueuse (4: 11-17) *

15 Les mauvais riches (5; 1-6) *

16 La patience (5: 7-11) *

17 Exhortations diverses (5: 12-20) *

 

 

L’ÉPÎTRE DE JACQUES

 

 

1 Jacques : sa vie et son milieu

 

Il y a tout lieu de croire que l’auteur de l’épître de Jacques est le disciple auquel Paul fait allusion lorsqu’il parle aux Galates de « Jacques, le frère du Seigneur » (Galates 1: 19) ; c’est de lui qu’il est question dans les chapitres 15 et 21 des Actes. Cette idée est établie par plusieurs faits que nous passerons en revue plus tard.

 

L’Écriture nous parle peu de la jeunesse de Jacques, le frère du Seigneur. Mais nous trouvons dans les évangiles quelques indications sur les circonstances de sa vie et aussi sur son caractère.

 

Rapprochons d’abord Matthieu 13: 53-56 et Marc 6: 3. Chacun de ces passages nous donne une liste des quatre frères de Jésus. L’ordre des noms diffère dans les deux listes, mais tout de même on note que Jacques est en tête des deux — d’où l’on peut supposer qu’il était l’aîné des frères et qu’il avait le plus de personnalité.

 

Il est presque certain qu’il a accepté les idées strictement religieuses dans lesquelles ses parents l’avaient élevé. Autant qu’on puisse en juger par sa vie, il a témoigné d’un respect sincère et permanent pour la loi de Moïse. De plus il a dû posséder un esprit sagace et très pratique.

Au commencement du ministère de Jésus il a peut-être écouté son frère avec un certain intérêt (Jean 2: 11, 12) ; mais il est vite devenu sceptique au fur et à mesure que les paroles de Jésus lui paraissaient de plus en plus idéalistes et fantasques (Jean 7: 2-5). Il se peut en particulier que les critiques sévères faites par Jésus à l’égard de nombreuses traditions juives l’aient fâché. Ainsi, de même que ses frères cadets, il a mérité quelquefois le reproche de Jésus. Ce reproche est peut-être implicite dans Matthieu 12: 46-50 ; il est tout à fait explicite dans Jean 7: 2-9. L’attitude des frères est prévue dans Psaume 69: 9 — verset qui établit aussi que les frères de Jésus étaient les fils de Marie, non pas de quelque autre femme de Joseph.

Un homme tel que Jacques a dû considérer la mort de son frère avec quelque regret naturel mais aussi comme étant le résultat inévitable d’une conduite imprudente et provocatrice. Pour Jacques, comme pour Saul de Tarse, la conversion a été quelque chose de soudain : le Christ ressuscité, comme Paul le déclare (1 Corinthiens 15: 5-7), « est apparu à Céphas, puis au douze... Ensuite, il est apparu à Jacques ». Et pour Jacques, ainsi que pour Paul plus tard, la vue du Christ ressuscité a été tout à fait convaincante. Il paraît que ses frères aient subi une semblable expérience. En tout cas, nous les voyons tous réunis dans la chambre haute à Jérusalem après l’ascension de Jésus, persévérant dans la prière avec les apôtres, les femmes et Marie leur mère (Actes 1: 12-14).

 

Or, devant Dieu il n’y a point d’acception de personnes, et quoique Jacques fût « le frère du Seigneur » il n’avait aucun droit à une considération spéciale parmi les premiers disciples. Il n’y a pas prétendu ; il ne l’a pas cherchée. Dans le premier verset de son épître il se présente non pas comme « Jacques, le frère du Seigneur », mais comme « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ ». Ainsi il reconnaît qu’il est essentiellement frère de Jésus selon l’esprit plutôt que selon la chair.

 

Dans les jours suivant sa conversion, Jacques, humilié et châtié par ses expériences, désirait sans doute avoir le temps de méditer et de réfléchir afin de pouvoir régler sa vie selon les exigences de sa nouvelle foi. Il n’est plus fait d’allusion à son sujet dans les premiers chapitres des Actes. Il se trouvait certainement parmi ceux dont on dit (Actes 2: 42-47) : « ...Ils rompaient le pain dans les maisons, et prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu, et trouvant grâce auprès de tout le peuple ».

 

Cependant, Jacques allait jouer un rôle important dans le développement de l’église du premier siècle. Il possédait un caractère qui le rendait particulièrement apte à conseiller et à diriger les disciples de son Seigneur. Sérieux, plein de zèle, renommé pour ses pratiques pieuses, sagace, courageux, franc mais plein de tact, tout à fait simple et sincère — voilà les qualités que l’on remarque dans son épître et dans ces passages (Actes 15 et 21) qui se rapportent à lui. Peu à peu, à cause de ces qualités, il jouait un rôle de plus en plus éminent dans les activités de l’église de Jérusalem. Lors de la première visite de Paul à Jérusalem il avait déjà gagné beaucoup d’importance (voir Actes 9: 26-30 et Galates 1: 18-20) ; lors de la deuxième visite de Paul (Actes 11:27-30; Galates 2:1,7-10) et de la mort de Jacques, fils de Zébédée (Actes 12: 1-7, 12-17), on le considérait avec Pierre et Jean comme colonne dans l’église ; à ce moment, il est évident, son autorité dans l’église de Jérusalem était très grande.

 

Mais l’autorité de Jacques ressort avec force surtout des récits d’Actes 15 et 21, rapportant deux conférences qui ont eu lieu à Jérusalem à cette époque. Dans le chapitre 14 des Actes on parle (verset 26) du retour de Paul et de Barnabas à Antioche après leur premier voyage de missionnaires, voyage remarquable surtout parce que les Juifs avaient rejeté la parole de Dieu, et que Paul et Barnabas s’étaient tournés vers les païens pour leur annoncer l’évangile (Actes 13: 44-49). Après leur retour à Antioche, « ils convoquèrent l’Église, et ils racontèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi » (Actes 14: 27).

 

Mais pendant leur séjour à Antioche, quelques hommes sont venus de la Judée, enseignant les frères, « en disant : Si vous n’êtes circoncis selon le rite de Moïse, vous ne pouvez être sauvés » (Actes 15:1). On remarque ici un problème qui inquiétait beaucoup les frères à cette époque et qui devenait d’ailleurs un problème quasi général. Les chrétiens du premier siècle avaient été autrefois ou des Juifs circoncis ou des païens incirconcis. Parmi les Juifs convertis au christianisme il y en avaient qui soutenaient la nécessité d’observer les rites de Moïse même après le baptême, voilà la source de bon nombre de luttes et de divisions parmi les disciples de l’église primitive. Plusieurs épîtres traitent de ce problème. Ici, dans Actes 15, nous avons le compte rendu d’une conférence au cours de laquelle on a essayé de détruire l’influence de ces «judaïsants » et de trancher la question de façon définitive (versets 2-35).

 

La conférence commence avec une vive discussion ; puis Pierre se lève et déclare que « c’est par la grâce du Seigneur Jésus » que nous sommes tous sauvés, Juifs et païens. Barnabas et Paul racontent « tous les miracles et les prodiges que Dieu avait faits par eux au milieu des païens ». Enfin, Jacques prend la parole. Il est d’avis qu’il n’est pas nécessaire pour les païens convertis d’observer la loi de Moïse ; mais il profite de l’occasion pour les mettre en garde contre l’impudicité très répandue à cette époque parmi les païens, et il les encourage à s’abstenir des animaux étouffés et du sang pour ne pas blesser la conscience de ces frères juifs qui tenaient toujours à observer les coutumes de leurs pères sans s’y croire absolument astreints. On remarque que Paul expose le même principe dans Romains 14 et dans 1 Corinthiens 8.

 

Ce qui donnait encore plus d’autorité à l’avis de Jacques c’est que lui-même, selon toute probabilité, observait strictement les ordonnances de la loi. Toutes les traditions se rapportant à Jacques l’affirment ; et il y a quelques indications du même fait dans les Écritures, surtout dans Galates 2: 11,12. Donc, le respect de Jacques pour la loi de Moïse ne faisait aucun doute ; les judaïsants ne pouvaient ajuste titre éprouver aucune hostilité à son égard ; ils avaient même peut-être invoqué son exemple pour appuyer leur enseignement (Actes 15: 24).

 

En tout cas, il paraît certain que c’est Jacques qui a présidé la conférence de Jérusalem. C’est bien lui qui a clos la discussion et qui a formulé la proposition enfin adoptée par toute l’église (Actes 15: 22, 23). Il paraît tout aussi clair que c’est lui qui a rédigé la lettre contenant la proposition — chose qui paraît tout à fait naturelle, hypothèse d’ailleurs qu’appuie l’étude de son style.

 

C’est dans Actes 21: 17-26 que nous lisons le récit de la seconde conférence de Jérusalem. Ici il est question d’une démarche prudente pour tranquilliser la conscience des « milliers de Juifs » qui avaient cru, mais qui continuaient à être « zélés pour la loi ». Si le projet n’a pas réussi, ce n’était la faute ni de Jacques ni de l’église. Et encore une fois on voit l’autorité de Jacques : « Paul se rendit avec nous chez Jacques, et tous les anciens s’y réunirent » (v.18) — d’où il semble que Jacques ait de nouveau présidé la conférence.

 

Nous avons ainsi passé en revue certains aspects du caractère et de l’œuvre de « Jacques, le frère du Seigneur » — cet homme qui a dirigé l’église de Jérusalem au moment critique du développement de l’église primitive. Josèphe et d’autres historiens nous disent qu’il a été mis à mort par les Juifs plusieurs années avant la destruction de Jérusalem. 11 est permis de croire qu’il a été fortifié dans sa dernière épreuve par les paroles de consolation qu’il avaient employées autrefois pour encourager les douze tribus dispersées (Jacques 1: 12) :

 

« Heureux l’homme qui supporte patiemment la tentation ; car, après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment ».

 

 

2 Adresse et salutation (1: 1)

 

L’épître de Jacques commence par une salutation dans laquelle l’auteur se présente comme « serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ ». Nous avons déjà noté ce fait : Il nous indique que Jacques ne veut pas insister sur sa parenté avec Jésus selon la chair — il est plutôt son frère et son serviteur selon l’esprit. Voici un bel exemple de l’humilité que pratique Jacques devant son Seigneur et parmi ses frères chrétiens. C’est une attitude essentiellement spirituelle qu’il manifeste.

 

Jacques adresse son épître « aux douze tribus qui sont dans la dispersion ». Nous savons bien que du temps des apôtres des milliers de Juifs étaient dispersés au loin dans tous les pays du monde ancien. Le jour de la Pentecôte « il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel » (Actes 2: 1, 5). Ils se décrivaient (versets 9 et 10) comme « Partîtes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, ta Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Egypte, le territoire de la Libye voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes ». Après avoir entendu le discours de Pierre, beaucoup de ces Juifs de la dispersion ont été baptisés ; « et, en ce jour-là, le nombre des disciples augmenta d’environ trois mille âmes » (versets 37-41 ). Ils sont rentrés après quelque temps chez eux, pour prêcher la bonne nouvelle aux Juifs de la dispersion et pour établir des églises chrétiennes.

 

C’est surtout aux disciples de ces églises qu’a écrit Jacques. Persécutés sans doute par les Juifs qui ne croyaient pas (nous voyons dans les Actes que ces mêmes Juifs s’excitaient souvent contre les frères), ils avaient certainement besoin de l’encouragement de son épître ; il leur fallait aussi des avis sur la pratique de la vie chrétienne. Pour les frères juifs de la Judée une lettre de Jacques n’était point nécessaire ; il demeurait au milieu d’eux et pouvait leur donner en personne les conseils et les exhortations dont ils avaient besoin.

 

Quelle a été la date de la lettre ? Certainement Jacques l’a écrite ou avant ou longtemps après la première conférence de Jérusalem, car il n’est point question dans cette épître de l’attitude des frères juifs envers les frères païens; si ce problème avait inquiété les églises, Jacques en aurait sans doute traité. Nous supposons, donc, ou que la mauvaise influence des judaïsants ne s’était pas encore développée ou qu’elle s’était tout à fait dissipée. Cependant, dans ce dernier cas l’épître de Jacques serait d’une date beaucoup postérieure même à celle de l’épître aux Hébreux — ce qui est peu probable, eu égard aux coutumes et au point de vue nettement juifs des auditeurs de l’épître. Ainsi il nous paraît bien que Jacques a écrit son épître non longtemps après la mort de Jacques, fils de Zébédée, et de Hérode Agrippa (en l’an 44 environ — voir Actes 12: 1, 2, 20-23) ; et certainement quelques années avant la première conférence de Jérusalem, en l’an 50 environ. C’est-à-dire que Jacques écrivait « aux douze tribus qui sont dans la dispersion » lors du premier voyage missionnaire de Paul et de Barnabas. Nous verrons plus tard qu’il y a dans l’épître plusieurs versets qui revêtent une signification plus précise si nous agréons cette date.

 

« Jacques... aux douze tribus... salut ». Ce mot « salut » ne s’emploie qu’une seule autre fois dans tout le Nouveau Testament ; au commencement de la lettre envoyée « aux frères d’entre les païens », après la première conférence de Jérusalem (Actes 15: 23). C’est là une petite concordance qui nous aide à identifier le rédacteur de cette lettre-ci avec l’auteur de l’épître de Jacques.

 

 

3 Les épreuves (1: 2-12)

 

« Mes frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés... Heureux l’homme qui supporte patiemment la tentation »

(Jacques 1: 2, 12).

Dans le Nouveau Testament le mot grec « peirasmon » s’emploie dans plusieurs sens : surtout il porte les significations d’épreuve et de tentation envers le mal. Naturellement nous devons toujours l’interpréter selon son contexte ; mais malheureusement nos versions françaises ne montrent aucune

uniformité dans l’emploi des mots d’ « épreuve » et de « tentation » pour indiquer les diverses acceptions du grec. Il faut donc noter que dans ce chapitre, Segond nous donne « épreuve » dans le verset 2 et « tentation » dans le verset 12, quoique le contexte nous indique clairement que Jacques parle dans les deux versets d’épreuves, et qu’en effet il soutient dans tous les versets 2-12 une thèse continue au sujet de l’attitude chrétienne envers les épreuves. C’est cette thèse que nous allons maintenant examiner.

 

Que sont les épreuves ? Quel est leur rôle dans la vie chrétienne ? Les Écritures nous en parlent beaucoup, et nous indiquent que Dieu nous soumet de temps en temps aux influences du malheur et de la souffrance pour nous discipliner dans la justice, pour perfectionner notre caractère, surtout pour éprouver et consolider notre foi. Voilà pourquoi l’apôtre Paul encourage les Hébreux à supporter patiemment le châtiment de Dieu :

 

« Dieu nous châtie pour notre bien, afin que nous participions à sa sainteté »

(Hébreux 12: 5-10).

Or, les Écritures reconnaissent franchement que l’on ne peut regarder les malheurs et les souffrances eux-mêmes comme des expériences joyeuses : pas du tout. Mais, au milieu même des douleurs, l’enfant de Dieu peut ressentir une paix et une joie tout à fait inconnues du monde et qui proviennent de sa connaissance du but de ses souffrances. Dieu a promis à ceux qui L’aiment qu’ils deviendront « participants de la nature divine » (2 Pierre 1: 4). Pour hériter à l’avenir de cette grande et précieuse promesse, il faut absolument que dès maintenant nous essayions de développer en nous-mêmes des qualités divines — que nous dépouillions le vieil homme et ses œuvres et que nous revêtions

 

« l’homme nouveau, qui se renouvelle, dans la connaissance, selon l’image de celui qui l’a créé »

(Colossiens 3: 9, 10).

Or, le châtiment représenté par nos malheurs et nos souffrances est un des moyens dont Dieu se sert pour nous aider à faire mourir « ce qui, dans [nos] membres, est terrestre », et à nous attacher « aux choses d’en haut » (Colossiens 3: 5, 2).

 

C’est en pensant à ce fait que l’enfant de Dieu peut prendre courage et ressentir de la joie, même lorsqu’il se trouve exposé aux épreuves : il les regarde comme la prélude d’une participation à la nature divine :

 

« C’est par beaucoup de tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu »

Actes 14: 22).

Ainsi Paul écrit aux Hébreux (Hébreux 12: 11) :

 

« Il est vrai que tout châtiment semble d’abord un sujet de tristesse, et non de joie ; mais il produit plus tard pour ceux qui ont été ainsi exercés un fruit paisible de justice ».

Aux « étrangers et dispersés » dans l’Asie mineure, Pierre écrit :

 

« Par la puissance de Dieu [vous] êtes gardés par la foi pour le salut prêt à être révélé dans les derniers temps ! C’est là ce qui fait votre joie, quoique maintenant, puisqu’il le faut, vous soyez attristés pour un peu de temps par diverses épreuves, afin que l’épreuve de votre foi, plus précieuse que l’or périssable (qui cependant est éprouvé par le feu), ait pour résultat la louange, la gloire et l’honneur, lorsque Jésus-Christ apparaîtra. Vous l’aimez sans l’avoir vu, vous croyez en lui sans le voir encore, vous réjouissant d’une joie merveilleuse et glorieuse, parce que vous obtiendrez le salut de vos âmes pour prix de votre foi »

(I Pierre 1: 5-9)

(voir aussi Matthieu 5: 11, 12 ; 2 Corinthiens 4: 16-18).

C’est ce même principe qu’expose Jacques (1: 2-4) :

 

« Mes frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que l’épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse parfaitement son œuvre, afin que vous soyez parfaits et accomplis, sans faillir en rien ».

Nous avons déjà remarqué que les disciples parmi les douze tribus dispersées avaient certainement besoin de ce conseil de Jacques : ils éprouvaient de cruelles souffrances grâce aux persécutions des Juifs incroyants.

 

Cependant, ressentir et témoigner de la joie au milieu des épreuves n’est point naturel, n’est point facile : cette joie, nous l’avons noté, provient de la reconnaissance du but des épreuves ; et cette reconnaissance est l’effet d’une attitude essentiellement spirituelle envers la vie — d’une attitude qui s’occupe de l’avenir plutôt que du présent, qui regarde

 

« non point aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles ; car les choses visibles sont passagères, et les invisibles sont éternelles »

(2 Corinthiens 4: 18).

Pour avoir ce point de vue nettement spirituel, nous devons nous débarrasser de la sagesse de ce monde et nous munir de la sagesse de Dieu. Comment faire cela ? Le précepte de Jacques est très simple et très précis — il faut chercher cette sagesse à sa source : il faut la demander à Dieu :

 

« Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée »

(Jacques 1:5).

Mais Dieu impose une condition : si l’homme veut partager le don libre de la sagesse divine, il doit s’approcher de Dieu, de son côté, simplement, librement et sans réserve :

 

« Mais qu’il la demande avec foi, sans douter ; car celui qui doute est semblable au flot de la mer, agité par le vent et poussé de côté et d’autre »

( verset 6).

Pendant sa jeunesse, Jacques avait certainement entendu souvent prêcher son frère ; ses préceptes et son langage nous rappellent fréquemment ceux de Jésus — et surtout ceux du sermon sur la montagne. Ce que Jacques dit ici nous rappelle les paroles de Jésus dans Matthieu 6: 24 :

 

« Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ».

Souvent, en effet, nous prions Dieu avec une foi qui n’est que partielle, une foi partagée entre Dieu et nos intérêts mondains ; nous sommes irrésolus, inconstants dans nos voies :

 

« Qu’un tel homme ne s’imagine pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur »

(Jacques 1: 7,8).

Jacques revient à ces sujets de la sagesse divine et d’une foi divisée avec encore plus de force dans les chapitres 3 et 4. Sa préoccupation avec l’idée de la sagesse divine indique une liaison avec les Proverbes et l’Ecclésiaste, liaison qui ressort avec encore plus de force ailleurs dans la lettre.

 

Quelle est la raison la plus fréquente d’une foi divisée ? Quel est le grand pouvoir qui séduit les enfants de Dieu de leur fidélité à Lui seul ? Ce sont les richesses, ou plutôt le désir et la recherche des richesses et ce que les richesses amènent à leur suite : ce sont surtout les richesses qui constituent le Mammon de ce monde. Mais l’enfant de Dieu doit reconnaître qu’en Christ les richesses ne font pas de différence :

 

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ »

(Galates 3: 28).

Et voici une vérité qui est cause de réjouissance pour les disciples, tant riches que pauvres, qui veulent l’accepter. Le frère de condition humble, dit Jacques (1: 9), peut se glorifier « de son élévation » ; car en Christ il est devenu héritier des véritables richesses du royaume de Dieu :

 

« Écoutez, mes frères bien-aimés : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres aux yeux du monde, pour qu’ils soient riches en la foi, et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ? »

(Jacques 2: 5).

Le frère riche, au contraire, peut se glorifier « de son humiliation » ; car en Christ il apprend que lui et ses richesses sont des choses passagères et fugitives, qu’il passera, avec ses richesses,

 

« comme la fleur de l’herbe. Le soleil s’est levé avec sa chaleur ardente, il a desséché l’herbe, sa fleur est tombée, et la beauté de son aspect a disparu : ainsi le riche se flétrira dans ses entreprises »

(1: 10, 11).

En reconnaissant la nature transitoire de l’homme et de ses entreprises, le frère riche est poussé à amasser, comme son frère pauvre,

 

« des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent »

(Matthieu 6: 20).

Ainsi, après avoir développé sa thèse sur les épreuves d’une manière assez détaillée, Jacques revient, dans le verset 12, à l’essentiel : comme dans les versets 2-4, il insiste ici sur la nécessité de supporter patiemment les épreuves auxquelles on est exposé. L’exhortation rappelle par le fond et par la forme les paroles de Jésus, et surtout les béatitudes de Matthieu 5 :

 

« Heureux l’homme qui supporte patiemment la tentation ; car, après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment »

(1: 12).

Jésus parle souvent des tribulations qu’auront dû supporter ses disciples ; et il insiste toujours sur le fait que ce sera celui qui persévérera jusqu’à la fin qui sera sauvé (voir, par exemple, Marc 13: 13). Ce même principe ressort avec force dans l’Apocalypse (2: 10) :

 

« Ne crains pas ce que tu vas souffrir. Voici, le diable jettera quelques-uns d’entre vous en prison, afin que vous soyez éprouvés, et vous aurez une tribulation de dix jours. Sois fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie ».

 

 

4 La tentation (1: 13-18)

 

« Heureux l’homme qui supporte patiemment la tentation... Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente »

(Jacques 1: 12, 13).

Dans le chapitre précedent nous avons noté que Segond aurait bien fait dans le verset 12 de traduire le mot grec de « peirasmon » par « épreuve » plutôt que par « tentation ». Il faut constater maintenant que son emploi du verbe « tenter » dans les versets 13 et 14 est tout à fait juste, car, en développant sa thèse, Jacques passe dans ces versets à un usage du mot grec tout particulier, tout spécial. Le contexte nous indique nettement qu’il aborde maintenant la question de la tentation, de la séduction du mal.

 

Dans les versets 2-12 Jacques a expliqué que l’enfant de Dieu devrait regarder les épreuves comme un des moyens dont son Père se sert pour l’instruire dans la justice, pour le rendre digne de participer à sa sainteté. Mais on peut néanmoins regarder les épreuves d’un point de vue tout différent, — du point de vue de l’homme qui n’arrive pas à résister fermement à l’adversité, de l’homme qui, au lieu d’être « exercé » par le châtiment de Dieu, succombe à la tentation et se détourne de la voie de la justice. Il arrive souvent qu’un tel homme ne veuille pas se reconnaître responsable de son erreur ; il cherche quelque autre personne à qui il peut l’attribuer ; et il ne trouve qu’une seule — c’est-à-dire Dieu. Ainsi il reproche à Dieu de l’avoir placé dans une situation difficile précisément pour l’induire en erreur : Dieu avait disposé les circonstances — donc le pécheur attribue la responsabilité de ses péchés à Dieu.

 

Voilà comment raisonne souvent l’homme charnel en justifiant ses péchés. Jacques réfute vigoureusement ce raisonnement, et démontre dans une métaphore nette et saisissante la vraie origine de la tentation :

 

« Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne »

(verset 13).

Dieu ne peut être l’auteur de la tentation : car, d’abord Il est Lui-même entièrement juste ; il n’y aucun mal en Lui ; ainsi Il ne peut être tenté par le mal, n’ayant en Lui aucune qualité qui puisse se prêter à la tentation. Ainsi, comme Il est toujours « un » (Galates 3: 20) et fidèle à Lui-même, il s’ensuit qu’Il « ne tente lui-même personne ». Dieu ne nous séduit point : Il ne nous pousse jamais à faire le mal.

 

D’où vient donc l’impulsion à succomber devant les épreuves ? D’où vient la tentation ?

 

« Chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise. Puis la convoitise, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché ; et le péché, étant consommé, produit la mort »

(versets 14, 15).

Remarquons d’abord que Jacques ne trouve l’origine de la tentation et du péché ni en Dieu, ni en un diable surnaturel et corporel, ni en aucun agent extérieur à l’homme, mais justement en l’homme lui-même. Les circonstances dans lesquelles l’homme se trouve ne peuvent être mauvaises en elles-mêmes ; elles ne fournissent aucune impulsion envers le mal ; l’impulsion s’explique plutôt par la convoitise qui demeure dans le cœur de l’homme et qui cède aux circonstances. C’est ce que dit aussi Jésus (Marc 7: 18-23) ;

 

« Rien de ce qui du dehors entre dans l’homme ne peut le souiller... Ce qui sort de l’homme, c’est ce qui souille l’homme. Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les débauches, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme ».

Notons maintenant les détails de la métaphore frappante qu’emploie Jacques en exposant l’origine du péché... Elle est suggérée par les circonstances de l’enfantement. Il se peut bien que Jacques pense ici à la «femme étrangère » à laquelle les Proverbes font allusion (voir, par exemple, 2: 10-19 ; 5: 1-6 ; 7: 1-27). Salomon parle, dans le chapitre 7, de ce qu’il a vu de la fenêtre de sa maison : un garçon « dépourvu de sens » est abordé « par une femme ayant la mise d’une prostituée et la ruse dans le cœur

 

« Elle le séduisit à force de paroles,

Elle l’entraîna par ses lèvres doucereuses.

Il se mit tout à coup à la suivre,

Comme le bœuf qui va à la boucherie,

Comme un fou qu’on lie pour le châtier,

Jusqu’à ce qu’une flèche lui perce le foie,

Comme l’oiseau qui se précipite dans le filet,

Sans savoir que c’est au prix de sa vie »

(Proverbes 7: 6, 7, 10,21-23).

Et à ce propos Salomon nous exhorte à écouter les paroles de la sagesse divine :

 

« Que ton cœur ne se détourne pas vers les voies d’une telle femme,

Ne t’égare pas dans ses sentiers.

Car elle a fait tomber beaucoup de victimes,

Et ils sont nombreux, tous ceux qu’elle a tués.

Sa maison, c’est le chemin du séjour des morts :

Il descend vers les demeures de la mort »

(versets 24-27).

Cette femme étrangère, c’est le symbole de la séduction du mal, c’est la personnification de la convoitise qui habite dans le cœur humain, personnification que l’on retrouve chez Jacques (1: 14). Le garçon dépourvu de sens est d’abord abordé, puis séduit et entraîné par la femme étrangère, et c’est « au prix de sa vie », car « sa maison, c’est le chemin du séjour des morts ».

 

Il en est ainsi avec la convoitise : elle attire l’homme et l’amorce, l’entraîne à pécher, et ainsi produit la mort. « Car le salaire du péché, » comme écrit Paul en faisant usage d’une métaphore différente, « c’est la mort » (Romains 6: 23).

 

La métaphore de l’enfantement reste très en relief dans les versets 16-18. Dieu n’est point mauvais, dit Jacques, mais au contraire, Il est bon et juste. Loin d’être le Père de la tentation et du péché, Il est l’auteur de toute grâce excellente et de tout don parfait :

 

« Ne vous y trompez pas, mes frères bien-aimés : toute grâce excellente et tout don par fait descendent d’en haut »

(versets 16, 17).

De Dieu nous tirons une inspiration tout à fait bonne. Il est le « Père des lumières » (verset 17) — de la lumière matérielle (voir Genèse 1: 3,4, 14-19), comme de la lumière spirituelle ; car c’est l’Éternel qui est notre « lumière et notre salut » (Psaume 27: 1), c’est la parole de Dieu

 

« qui est une lampe à [nos] pieds et une lumière sur [notre] sentier»

(Psaume 119: 105).

Dieu est donc le Père des lumières parce qu’Il en est le Créateur. Mais Il est aussi leur Père dans un autre sens : comme le soleil, vu de la terre, brille plus fort que tous les autres luminaires du ciel, ainsi Dieu est la plus éminente de toutes les lumières, matérielles et spirituelles, de l’univers. C’est la lumière essentielle du monde, habitant

 

« une lumière inaccessible, que nul homme n’a vu ni ne peut voir ; à [Lui] appartiennent l’honneur et la puissance éternelle»

(1 Timothée 6: 16).

La gloire du soleil et des étoiles n’est pas constante ; elle s’obscurcit de temps à autre, à cause de révolutions et rotations, à cause aussi des éclipses auxquelles ils sont sujets ; mais chez Dieu

 

« Il n’y a ni changement ni ombre de variation »

(Jacques 1: 17).

 

Ces deux aspects du caractère de Dieu — Sa justice et Sa constance — fournissent ensemble une double garantie de Son attitude, et de Ses relations avec la race humaine. Il est juste, Il est constant : par conséquent Il est entièrement et toujours juste : Il est par Sa nature le Père de toute grâce excellente et de tout don parfait.

 

C’est la convoitise qui enfante le péché. L’œuvre de Dieu, c’est la justice, c’est la lumière ; et de plus

 

« Il nous a engendrés selon sa volonté, par la parole de vérité, afin que nous soyons en quelque sorte les prémices de ses créatures »

(verset 18).

C’est Jésus qui dit :

 

« En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu... Si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas que je t’aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau »

(Jean 3: 3, 5-7).

Par cette renaissance nous devenons « enfants de Dieu », nés « non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu » (Jean 1: 12, 13) ; nous revêtons « l’homme nouveau, qui se renouvelle, dans la connaissance, selon l’image de celui qui l’a créé » (Colossiens 3: 10). Loin de provoquer en nous de mauvaises pensées et de mauvaises actions, Dieu nous a engendrés pour participer à Sa propre nature divine et parfaite, pour être « en quelque sorte les prémices de ses créatures » (Jacques 1: 18).

 

« Les prémices de ses créatures » : voilà une métaphore tirée de la description, dans Lévitique 23, des trois grandes «fêtes de l’Éternel ». A propos de la première fête nous lisons (verset 10) :

 

« Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne, et que vous y ferez la moisson, vous apporterez au sacrificateur une gerbe, prémices de votre moisson ».

Lors de la deuxième fête les Israélites devaient apporter de leurs demeures :

 

« deux pains... ils seront faits avec deux dixièmes de fleur de farine, et cuits avec du levain : ce sont les prémices à l’Éternel »

(Lévitique 23: 17).

Il y avait donc deux sortes de prémices : le particulier (une gerbe), et la grande foule (de nombreuses gerbes représentées dans les deux pains) ; et ces prémices constituaient le prélude de la moisson complète de la troisième et dernière fête (versets 24-36). Or, la loi, c’est « une ombre des biens à venir » (Hébreux 10: 1), et nous trouvons dans 1 Corinthiens 15 l’explication de ces «fêtes de l’Eternel ». Paul écrit :

 

« Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui sont morts... Et comme tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Christ, mais chacun en son rang, Christ comme prémices, puis ceux qui appartiendront à Christ, lors de son avènement. Ensuite viendra la fin, quand il remettra le royaume à celui qui est Dieu et Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité et toute puissance... afin que Dieu soit tout en tous »

(1 Cor. 15: 20, 22-24, 28).

C’est donc Christ qui est la première gerbe annonciatrice ; ce sont « ceux qui appartiennent à Christ lors de son avènement » qui constituent les prémices nombreuses, Juifs et Grecs (deux pains), auxquelles pense Jacques quand il écrit que Dieu « nous a engendrés se!on sa volonté... afin que nous soyons en quelque sorte les prémices de ses créatures » (voir aussi Apocalypse 14: 1-5). Et ces prémices sont la garantie de la grande moisson lors de « la fin », quand Jésus « remettra le royaume à celui qui est Dieu et Père... afin que Dieu soit tout en tous » (voir Apocalypse 20: 1 à 21: 8).

 

L’instrument qu’emploie Dieu pour nous engendrer, nous, les prémices de ses créatures, c’est « la parole de vérité » qui renferme la sagesse divine, servant ainsi de lampe à nos pieds et de lumière sur notre sentier. Pierre écrit (1 Pierre 1: 23-25) :

 

« Vous avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la parole vivante et permanente de Dieu ».

Toute chair périt comme l’herbe, mais la parole du Seigneur, et ceux qu’elle régénère, demeurent éternellement.

 

 

5 La pratique de la Parole (l: 19-25)

 

« Il nous a engendrés selon sa volonté, par la parole de vérité... Sachez-le, mes frères bien-aimés. Ainsi, que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler, lent à se mettre en colère ; car la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu »

(Jacques 1: 18-20).

C’est par la parole de vérité que Dieu nous a engendrés selon Sa volonté ; si nous voulons être en vérité « les prémices de ses créatures » il est donc absolument nécessaire que nous soyons « prompts à écouter » la parole ; c’est là le seul moyen d’apprendre quelles sont les œuvres de la chair dont nous devons nous débarrasser, et quels sont les fruits de l’Esprit que nous devons cultiver en nous-mêmes. Il faut, comme le dit Jacques plus tard (verset 21), qu’après notre renaissance par le baptême nous recevions avec douceur la parole qui a été plantée en nous.

 

Si nous sommes prompts à écouter la parole de Dieu, nous serons par conséquent « lents à parler » ; car la parole nous fait savoir que la langue, tout petit membre qu’elle est, se vante de grandes choses : « c’est le monde de l’iniquité » (3: 5-6). Dans son épître Jacques traite beaucoup des mauvais usages de la langue, de la nécessité de la tenir en bride (voir, par exemple 1: 26 ; 2: 12 ; 3: 1-12 ; 4: 11-17 ; 5: 12). Chez les Juifs c’était un trait caractéristique d’employer la langue d’une manière méchante et injurieuse — trait qui pourrait persister chez ceux qui se convertiraient au christianisme. En exhortant les convertis dispersés à être lents à parler, Jacques nous rappelle de nouveau, par ses paroles, les Proverbes et l’Ecclésiaste : c’est « la voix de l’insensé », dit l’Ecclésiaste (5: 2), « qui se fait entendre dans la multitude des paroles », et les Proverbes nous précautionnent :

 

« Celui qui veille sur sa bouche garde son âme ; Celui qui ouvre de grandes lèvres court à sa perte... Celui qui retient ses paroles connaît la science, Et celui qui a l’esprit calme est un homme intelligent »

(Proverbes 13: 3 ; 17: 27).

« L’esprit calme » : voilà une qualité très souhaitable mais très rare, même parmi les enfants de Dieu. C’est l’esprit qui jouit de « la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence » (Philippiens 4: 7). C’est l’homme seul possédant un tel esprit qui sache vraiment vieillir sur sa bouche, qui sache vraiment retenir ses paroles ; un tel homme est nécessairement « lent à parler » ; il est aussi « lent à se mettre en colère » — les deux traits sont étroitement liés dans la pensée de Jacques.

 

La colère peut être une vertu : « Dieu s’irrite en tout temps » contre les méchants (Psaume 7: 7, 10) ; bientôt Il manifestera sa colère et sa fureur « aux yeux de la multitude des nations » (Ézéchiel 38: 18-23). Jésus a parlé plusieurs fois aux Pharisiens « avec indignation » (voir, par exemple, Marc 3: 5), Mais chez les hommes la colère est généralement l’expression d’une malice charnelle, plutôt que d’une indignation juste. Paul juxtapose nettement les deux sortes de colère dans quelques versets très intéressants de sa lettre aux Colossiens :

 

« Faites donc mourir ce qui, dans vos membres, est terrestre... C’est à cause de ces choses que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion ; c’est ainsi que vous marchiez autrefois, lorsque vous viviez dans ces péchés. Mais maintenant, renoncez à toutes ces choses, à la colère, à l’animosité, à la méchanceté, à la calomnie, aux paroles équivoques qui pourraient sortir de votre bouche »

(Colossiens 3: 5-8).

L’exhortation de Jacques au sujet de la colère s’applique à ses auditeurs avec tout autant de force que son avis contre le mauvais emploi de la langue : car les Juifs cédaient habituellement à la colère ; ils croyaient même faire la volonté de Dieu en montrant de la colère et de la violence contre ce qui leur semblait erreur ou péché. Remarquons, à ce propos, les paroles de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, à propos des Samaritains qui n’avaient pas reçu leur Maître : « Seigneur, veux-tu que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume ?» (Luc 9: 54). Remarquons aussi la fureur zélée de Saul de Tarse qui respirait « la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur » (Actes 9: 1). Le commandement de Jacques aux Juifs convertis de la dispersion, d’être « lents à se mettre en colère », nous rappelle de nouveau quelques paroles de l’Ecclésiaste (7: 9) :

 

« Ne te hâte pas en ton esprit de t’irriter, car l’irritation repose dans le sein des insensés ».

« Que tout homme soit... lent à se mettre en colère ; car la colère de l’homme n ‘accomplit pas la justice de Dieu » : antithèse frappante qui fait ressortir le vif contraste entre la pensée pécheresse de l’homme charnel et la justice propre à Dieu. La justice de Dieu, c’est d’abord celle qui fait essentiellement partie de la nature de Dieu Lui-même. Mais Dieu nous a appelés pour que nous devenions enfin participants de cette même nature, de cette même justice. Certes, c’est par la grâce de Dieu que nous héritons la nature divine : ce sont « ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice » qui régneront dans la vie — car la vie éternelle et la justice qui l’accompagne, sont « le don gratuit de Dieu » (Romains 5: 17 ; 6: 23). Il faut dire que nous recevons ce don seulement si nous essayons, dès maintenant, de développer en nous-mêmes, dans la mesure du possible, les traits caractéristiques de la justice que nous voulons hériter ; et la colère de l’homme, la colère charnelle, n’est pas du nombre de ces qualités ; ainsi, elle « n’accomplit pas la justice de Dieu » — elle sert simplement à gêner en nous le développement des qualités divines.

 

« Désirez... le lait spirituel et pur, afin que par lui vous croissiez pour le salut » — voici ce qu’a dit Jacques, en faisant emploi d’une métaphore différente :

 

« Recevez avec douceur la parole qui a été plantée en vous, et qui peut sauver vos âmes »

(Jacques 1: 21).

La figure qu’emploie Jacques nous rappelle la parabole du semeur : c’est par la parole de vérité, semée dans un cœur honnête et bon (Luc 8: 15), que l’enfant de Dieu est engendré ; ce n’est qu’en recevant cette parole dans le cœur, en la retenant, en nous soumettant à ses influences, que nous pouvons être sauvés. Et il faut la recevoir « avec douceur » — car ce sont les débonnaires et les humbles qui hériteront la terre :

 

« Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point »

(Matthieu 5: 5 ; Marc 10: 15).

Dans l’argument de Jacques il y a une étroite liaison entre la thèse des versets 13-18 et celle des versets 19-25, liaison qui ressort avec force si nous relevons dans ces versets quelques phrases fort significatives : « Il nous a engendrés... par la parole de vérité... Recevez avec douceur la parole qui a été plantée en vous... Mettez en pratique la parole, et ne vous bornez pas à l’e’couter » (versets 18, 21, 22). Ce qui nous a engendrés, il faut la recevoir avec douceur ; et ce que nous recevons, il faut la mettre en pratique.

 

Dans les versets 22-25 Jacques tient à souligner le nécessité de mettre en pratique la parole. Il revient à cette même idée dans le chapitre 2 (versets 14-26), où il démontre qu’une profession de foi sans œuvres est stérile. Remarquons maintenant, dans le verset 22 du premier chapitre, un nouvel écho du sermon sur la montagne. « Mettez en pratique la parole », dit Jacques, « et ne vous bornez pas à l’écouter », dit Jésus (Matthieu 7: 24-27) :

 

« Quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique, sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc... Mais quiconque entend ces paroles que je dis, et ne les met pas en pratique, sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable ».

Oublier la nécessité absolu de la pratique, dit Jacques, c’est se tromper « par de faux raisonnements » (1: 22) ; et il pousse à bout la leçon en l’illustrant, à la manière de Jésus, par une similitude (versets 23-25) :

 

« Si quelqu’un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel, et qui, après s’être regardé, s’en va, et oublie aussitôt comment il était. Mais celui qui aura plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui aura persévéré, n’étant pas un auditeur oublieux, mais se mettant à l’œuvre, celui-là sera heureux dans son activité ».

Un homme ne peut voir son visage naturel qu’à l’aide de quelque instrument, tel un miroir, qui reflète le visage ; de même, l’homme ne peut voir sa nature réelle qu’en la regardant dans la parole de Dieu — « la loi parfaite, la loi de liberté ». Mais on peut se regarder dans ce miroir qu’est la Parole de Dieu de deux façons très différentes : d’abord, on peut se regarder, s’en aller, et oublier ce que l’on est ; ou bien, on peut plonger les regards dans ce miroir et, voyant qu’on est pécheur et condamné à mort, on peut persévérer et s’évertuer pour devenir héritier de la justice divine et de la vie éternelle. C’est cette deuxième façon de regarder qui seule est profitable.

 

Le miroir, c’est « la loi parfaite » — car c’est la parole de Dieu dont le Psalmiste écrit : « La loi de l’Éternel est parfaite, elle restaure l’âme » ; il s’ensuit que ce soit aussi « la loi de la liberté », car elle restaure l’âme ; elle est la parole de vérité dont Jésus dit :

 

« Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira »

(Jean 8: 31, 32).

Par cette parole nous sommes libérés de l’esclavage du péché et de la mort.

 

De l’homme qui mettra en pratique la parole, qui « aura persévéré, n’étant pas un auditeur oublieux, mais se mettant à l’œuvre », Jacques écrit : « Celui-là sera heureux dans son activité » — heureux, parce que cette activité, c’est le prélude essentiel du salut de son âme.

 

 

6 La religion pure et sans tache (1: 26, 27)

 

Dans les versets 2 à 25 du premier chapitre de son épître Jacques soutient une seule thèse qu’il conclut en insistant sur la nécessité de mettre en pratique la parole de Dieu :

 

« Celui qui aura plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui aura persévéré... se mettant à l’œuvre, celui-là sera heureux dans son activité »

(Jacques 1: 25).

Dans le reste de son épître Jacques parle d’une manière plus détaillée de la pratique de la vie chrétienne.

 

En passant, dans les versets 26 et 27, à une considération de quelques-unes des œuvres de l’Esprit, Jacques fait usage des mots de « religieux » et de « religion ». Dans le grec ces mots indiquent, non la piété, non une disposition pour les sentiments religieux, mais l’observation exacte et scrupuleuse des pratiques extérieures, des rites et des cérémonies. Paul emploie un mot de la même origine lorsqu’il met les Colossiens (2: 18) en garde contre le « culte des anges ». Les Juifs regardaient comme religieux l’homme qui faisait très attention aux rites et aux grandes fêtes de la loi de Moïse, et qui évitait les souillures rituelles. Ils se préoccupaient tant de ces pratiques qu’ils négligeaient ce qui était plus important dans la loi — la justice, la miséricorde et la fidélité (Matthieu 23: 23) — et qu’enfin ils n’ont pas reconnu leur Messie et leur Sauveur. C’est dans l’Évangile selon Jean que nous voyons peut-être le plus nettement l’inconséquence ironique de leur attitude :

 

« Ils conduisirent Jésus de chez Caiphe au prétoire : c’était le matin. Ils n’entrèrent point eux-mêmes dans le prétoire, afin de ne pas se souiller, et de pouvoir manger la Pâque »

(Jean 18: 28).

Au moment, en effet, où ils allaient se souiller de façon flagrante avec le sang de leur Messie, ils ne se préoccupaient que d’une souillure rituelle et technique. Telle était leur idée d’une religion pure et sans tache.

 

Il est évident que les Juifs convertis de la dispersion pourraient bien persister dans une telle idée, même après le baptême. Mais déjà Jacques a insisté (versets 14,15) que ce qui souille vraiment l’homme, c’est ce qui sort de l’homme. Car, comme l’a dit Jésus,

 

« c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les débauches, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme »

(Marc 7: 21-23).

Jésus a condamné les pharisiens qui nettoyaient le dehors de la coupe et du plat tandis que leur intérieur était « plein de rapine et de méchanceté » (Luc 11: 39). Ainsi la religion pure et sans tache devant Dieu — c’est-à-dire une vraie mise en pratique de sa foi — consiste à renoncer à ces véritables souillures qui sortent de nos cœurs, et à manifester dans notre vie les œuvres de l’Esprit, telles que la miséricorde, l’humilité et la justice. En effet, Jacques veut dans ces versets rappeler au souvenir de ses auditeurs l’instruction de Michée (6: 5-8) :

 

« Avec quoi me présenterai-je devant l’Éternel,

Pour m’humilier devant le Dieu Très-Haut ?

Me présenterai-je avec des holocaustes,

Avec des veaux d’un an ?

L’Éternel agréera-t-il des milliers de béliers,

Des myriades de torrents d’huile ?

Donnerai-je pour mes transgressions mon premier-né,

Pour le péché de mon âme le fruit de mes entrailles ?

On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien ;

Et ce que l’Éternel demande de toi,

C’est que tu pratiques la justice,

Que tu aimes la miséricorde,

Et que tu marches humblement avec ton Dieu ».

Et d’abord, dit Jacques,

 

« Si quelqu’un croit être religieux, sans tenir sa langue en bride, mais en trompant son cœur, la religion de cet homme est vaine »

(1: 26).

Nous avons noté dans notre chapitre précédent que Jacques traite beaucoup des mauvais usages de la langue, de la nécessité de la tenir en bride — chose tout à fait naturelle, eu égard à l’habitude des Juifs (et, par conséquent, probablement de ses auditeurs) d’employer la langue d’une manière injurieuse. Devant Dieu un tel emploi de la langue souille véritablement la vie de l’homme :

 

« La langue... c’est le monde de l’iniquité. La langue est placée parmi nos membres, souillant tout le corps, et enflammant le cours de la vie, étant elle-même enflammée par la géhenne »

(3:6).

La religion pure et sans tache demande, donc, que nous tenions en bride un membre tellement dangereux.

 

Constatons, en passant, que Jacques se rend bien compte de la facilité avec laquelle l’homme peut se tromper à propos de son état spirituel. Nous pouvons nous tromper en attribuant à Dieu la responsabilité de nos péchés:

 

« Ne vous y trompez pas... toute grâce excellente et tout don par fait descendent d’en haut »

(versets 16, 17) ;

nous nous trompons « par de faux raisonnements » (verset 22) si nous nous bornons à écouter la parole, ne la mettant jamais en pratique ; et de même nous nous trompons si nous croyons être religieux « sans tenir la langue en bride » (verset 26). L’homme peut en vérité se tromper très facilement ; mais ce qu’il doit toujours reconnaître, c’est que l’on ne saurait tromper Dieu :

 

« Ne vous y trompez pas : on ne se moque pas de Dieu. Ce qu’un homme aura semé, il le moissonnera aussi »

(Galates 6:7).

Jérémie dit (17:9, 10) :

 

« Le cœur est tortueux par-dessus tout, et il est méchant :

Qui peut le connaître ?

Moi, l’Eternel, j’éprouve le cœur, je sonde les reins,

Pour rendre à chacun selon ses voies,

Selon le fruit de ses œuvres » .

« La religon pure et sans tache, devant Dieu notre Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction »

(Jacques 1: 27).

L’Écriture évoque l’orphelin et la veuve comme les exemples extrêmes de besoin et d’affliction. Job, en se défendant contre les critiques de ses trois amis, a dit (29: 12, 13) :

 

« ... je sauvais le pauvre qui implorait du secours,

El l’orphelin qui manquait d’appui.

La bénédiction du malheureux venait sur moi ;

Je remplissais de joie le cœur de la veuve ».

Et plus tard (31: 16, 17, 21, 22) :

 

« Si j’ai refusé aux pauvres ce qu’ils demandaient,

Si j’ai fait languir les yeux de la veuve,

Si j’ai mangé seul mon pain,

Sans que l’orphelin en ait eu sa part...

Si j’ai levé la main contre l’orphelin,

Parce que je me sentais un appui dans les juges ;

Que mon épaule se détache de sa jointure,

Que mon bras tombe et qu’il se brise ! ».

Il incombe donc à celui qui professe une religion pure et sans tache de visiter ceux qui sont affligés, comme les orphelins et les veuves.

 

Le mot de « visiter » signifie dans le grec beaucoup plus qu’une simple visite — il indique une visite et une surveillance inspirées d’une vraie sollicitude. C’est le mot qu’emploie Luc en faisant allusion (Luc 1: 68, 78 ; 7: 16) à la naissance et au ministère de Jésus : Dieu avait « visité son peuple » en leur envoyant Son Fils unique pour les sauver de leurs péchés (voir Matthieu 1:21); Il avait visité Son peuple, comme l’a dit Zacharie, pour les racheter. Cette visite a témoigné donc de l’intérêt, de la sympathie et de l’amour de Dieu pour le monde. Et lorsque Jacques nous exhorte à visiter les orphelins et les veuves il veut dire que nous devons nous intéresser vivement à la nécessité de nos frères et sœurs, que nous devons les aider sympathiquement dans leurs afflictions. C’est un principe déjà établi par Jésus (Matthieu 25: 31-46) : aux justes qu’il recevra dans son royaume, il dira :

 

« Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez rendu visite ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi... Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites »,

Paul écrit (Galates 6: 2) :

 

« Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi de Christ ».

« La religion pure et sans tache, devant Dieu notre Père, consiste à... se préserver des souillures du monde »

(Jacques 1: 27).

La difficulté essentielle de la vie chrétienne, c’est de cultiver les fruits de l’Esprit dans un corps qui reste humain et pécheur, et qui, d’ailleurs, habite un monde presque entièrement abandonné à l’accomplissement des convoitises de la chair — un monde dont les habitants d’une génération passée

 

« mangeaient, buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche; le déluge vint, et les fit tous périr »

(Luc 17:27).

Il se peut bien, comme nous l’avons déjà noté, que les Juifs convertis de la dispersion aient persisté à se préoccuper des souillures rituelles. Jacques leur écrit que le chrétien devrait s’inquiéter plutôt des souillures qui proviennent de son intimité avec le monde.

 

On ne peut pas éviter absolument tout contact avec le monde : Paul écrit aux Corinthiens (1 Corinthiens 5: 9, 10) :

 

« Je vous ai écrit dans ma lettre de ne pas avoir de relations avec les débauchés, non pas d’une manière absolue avec les débauchés de ce monde, ou avec les cupides et les ravisseurs, ou avec les idolâtres ; autrement il vous faudrait sortir du monde ».

Mais ce qui est nécessaire, c’est que nous reconnaissions qu’entre les voies de Dieu et les voies de ce monde il y a un grand abîme ; c’est qu’il faut proclamer, tant par nos paroles que par nos actions, les voies de Dieu ; il faut refuser absolument de nous allier aux idées et à la pratique du monde. A Timothée (1 Timothée 5: 22) Paul a écrit :

 

« Ne participe pas aux péchés d’autrui ; toi-même conserve-toi pur » ;

 

et aux Romains :

 

« Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait »

(Romains 12: 2).

Avant son arrestation, Jésus a fait cette prière pour ses disciples :

 

« Je leur ai donné ta parole ; et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du mal. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Sanctifie-les par ta vérité: ta parole est la vérité »

(Jean 17: 14-17).

Et Jacques revient à cette thèse avec encore plus de force dans le chapitre 4 de son épître (au verset 4) :

 

« Adultères que vous êtes ! ne savez-vous pas que l’amour du monde est inimitié contre Dieu ? Celui donc qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu ».

 

 

7 L’acception de personnes (2: 1-7)

 

Nous passons maintenant à la considération d’un autre aspect de la pratique de la vie chrétienne. En l’introduisant, Jacques fait usage de l’expression « Mes frères » — expression qui s’emploie comme mode d’adresse quinze fois dans cette épître, c’est-à-dire plus souvent que dans toute autre épître du Nouveau Testament, excepté 1 Corinthiens, qui est beaucoup plus longue. Cette locution est fort à propos dans cette épître, eu égard au grand nombre d’exhortations qui y préconisent l’amour fraternel. Souvent, comme dans ces versets, l’expression introduit immédiatement une exhortation telle que celle-ci :

 

« Mes frères, que votre foi en notre glorieux Seigneur Jésus-Christ soit exemple de toute acception de personnes » (Éd. de Genève, 1979: « de tout favoritisme »)

(Jacques 2: 1).

Pour « en notre glorieux Seigneur Jésus-Christ » il faut lire : « en notre Seigneur Jésus-Christ, en [celui qui est] la Gloire». Ésaïe, prophétisant l’avènement de Jésus, dit (40: 5) :

 

« Alors la gloire de l’Éternel sera révélée,

Et au même instant toute chair la verra ».

Jean dit :

 

« Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père »

(Jean 1: 14).

 

Dans le temple Siméon a décrit l’enfant Jésus :

 

« Lumière pour éclairer les nations,

Et gloire d’Israël, ton peuple »

(Luc 2: 32).

Paul parle de Dieu comme du « Père de gloire » (Éphésiens 1: 17), et Pierre écrit (1 Pierre 4: 14):

 

« Si vous êtes outragés pour le nom de Christ, vous êtes heureux, parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous ».

De la nouvelle Jérusalem, Jean dit :

 

« La ville n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer ; car la gloire de Dieu l’éclairé, et l’Agneau est son flambeau »

(Apocalypse 21: 23).

Jésus est le Chemin, il est la Vérité, il est la Vie ; et de plus il est la Gloire, car en lui est manifestée la gloire de son Père. Il est bien évident que les disciples du premier siècle faisaient allusion à Jésus sous plusieurs noms : il était le Seigneur, le Christ, le Sauveur ; il était aussi la Gloire.

 

Notre foi en Jésus devrait donc être exempte de toute acception de personnes ; car devant celui qui est « la Gloire », en qui est manifestée la gloire de Dieu Lui-même, que signifient les distinctions extérieures de race et de situation sociale ?

 

« Dieu ne fait point acception de personnes (favoritisme) »,

 

dit Pierre,

 

« mais […] en toute nation celui qui le craint et qui pratique la justice lui est agréable »

(Actes 10: 34) ;

(voir aussi Romains 2: 11 ; Éphésiens 6: 9).

 

Et même les ennemis de Jésus reconnaissaient qu’en ceci il ressemblait à Dieu :

 

les pharisiens et les hérodiens vinrent lui dire :

 

« Maître, nous savons que tu es vrai, et que tu ne t’inquiètes de personne ; car tu ne regardes pas à l’apparence des hommes »

(Marc 12: 14).

L’homme regarde souvent à ce qui frappe les yeux, mais l’Éternel regarde au cœur. Faire acception de personnes c’est regarder à la condition extérieure plutôt qu’au mérite essentiel.

 

Jésus a souvent condamné l’attitude des scribes et des pharisiens à cet égard:

 

« Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes. Ainsi, ils portent de larges phylactères, et ils ont de longues franges à leurs vêtements ; ils aiment la première place dans les festins, et les premiers sièges dans les synagogues ; ils aiment à être salués dans les places publiques, et à être appelés par les hommes Rabbi, Rabbi »

(Matthieu 23:5-7).

« Ils aiment [...] les premiers sièges dans les synagogues » — voilà l’idée que Jacques va développer dans les versets 2 à 4 :

 

« Supposez, en effet, qu’il entre dans votre assemblée un homme avec un anneau d’or et un habit magnifique, et qu’il y entre aussi un pauvre misérablement vêtu ; si, tournant vos regards vers celui qui porte l’habit magnifique, vous lui dites : Toi, assieds-toi ici à cette place d’honneur ! et si vous dites au pauvre : Toi, tiens-toi là debout ! ou bien : Assieds-toi au-dessous de mon marchepied ! ne faites-vous pas en vous-mêmes une distinction, et n’êtes-vous pas des juges aux pensées mauvaises ?»

De nouveau nous remarquons que la faute flétrie par Jacques c’est une faute propre aux Juifs comme peuple, faute dans laquelle ils pourraient bien persister dans leur nouvelle vie de chrétiens. En se préoccupant des souillures extérieures plutôt que des souillures essentielles, ses auditeurs pourraient bien mépriser le pauvre qui se présentait dans leur synagogue « misérablement vêtu ». Mais en agissant ainsi ils faisaient en eux-mêmes une distinction ; ils manifestaient ces doutes, cette irrésolution, cette inconstance que Jacques a déjà flétris si rigoureusement (1: 6-7). Ils essayaient, en effet, d’adorer la gloire de Dieu manifestée en Jésus en même temps qu’ils adoraient la gloire fugitive des richesses humaines. Mais,

 

« Nul ne peut servir deux maîtres... Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon »

(Matthieu 6: 24).

 

Notons, en passant, que dans le grec le mot d’assemblée signifie synagogue. En général les apôtres emploient le mot d’ecclésia pour indiquer l’ensemble des disciples et aussi pour indiquer l’endroit où ils se réunissaient pour adorer Dieu ; mais Jacques, tout en employant ecclésia pour indiquer la réunion des disciples (voir 5: 14 — « église »), fait usage de synagogue pour qualifier le lieu d’assemblée. Cet usage indique l’origine juive de ses auditeurs et aussi, probablement, la date primitive de l’épître.

 

En faisant des distinctions entre les riches et les pauvres, dit Jacques, ses auditeurs se constituaient des juges ; ils oubliaient qu’

 

« un seul est législateur et juge, c’est celui qui peut sauver et perdre »

(4: 12) ;

ainsi ils s’arrogeaient à eux-mêmes une fonction réservée à Dieu seul. Ils étaient doublement condamnés parce que la base de leur jugement était charnelle: ils jugeaient sous l’inspiration de « pensées mauvaises »; et, de plus, comme Jacques va maintenant le leur démontrer, par leur attitude ils couraient le risque de lutter contre Dieu.

 

« Écoutez, mes frères bien-aimés : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres aux yeux du monde, pour qu’ils soient riches en la foi, et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qu’il aime ? »

(Jacques 2: 5).

La pensée de Jacques ressemble beaucoup à celle de Paul dans 1 Corinthiens (1: 27-29) :

 

« Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ; et Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu’on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont, afin que personne ne se glorifie devant Dieu ».

Ce n’est point aux richesses de ce monde que Dieu attache du prix, mais plutôt à une richesse de foi. C’est à l’homme seul qui sache demander « avec foi, sans douter » que Dieu donnera la sagesse divine (1:6) sans laquelle nul ne peut entrer dans la vie ; ce sont de tels hommes seuls qui seront « héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ». Ici Jacques répète une expression qu’il a déjà employée dans le verset 12 du premier chapitre ; et, comme dans ce verset-là, il fait allusion à une promesse formelle du Seigneur :

 

« Heureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu est à vous »

(Luc 6: 20) ;

(voir aussi Matthieu 5: 3, 10 ; Luc 12: 31, 32).

Dans ce verset c’est de la promesse du royaume que Jacques fait mention ; dans 1: 12 c’est la promesse de la vie ; et ces deux promesses constituent le fond de l’espoir chrétien — espoir de la vie éternelle dans le royaume de Dieu.

 

« Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres...? Et vous, vous avilissez le pauvre »

(Jacques 2: 6).

En faisant acception de personnes, en regardant au riche tout en méprisant le pauvre, on s’oppose aux desseins et aux voies de Dieu Lui-même. Ainsi on mérite bien la condamnation du proverbe (Proverbes 14: 20, 21) :

 

« Le pauvre est odieux même à son ami,

Mais les amis du riche sont nombreux.

Celui qui méprise son prochain commet un péché,

Mais heureux celui qui a pitié des misérables ! »

Les disciples auxquels écrivait Jacques devaient éviter toute acception de personnes et ne pas honorer excessivement les riches, et ceci pour une autre raison :

 

« N’est-ce pas les riches (comme classe) qui vous oppriment, et qui vous traînent devant les tribunaux ? N’est-ce pas eux qui outragent le beau nom que vous portez ? »

(Jacques 2: 6, 7).

Dans les Actes nous voyons que les Juifs qui devenaient disciples de Christ étaient souvent persécutés par ceux qui ne croyaient pas, et surtout par la haute classe et par les anciens (voir, par exemple, Actes 4: 1-6 ; 5: 17 ; 13: 50). Souvent on les traînait devant les tribunaux et, à l’instar de Saul de Tarse, les jetait en prison (Actes 8: 3 ; 9: 1, 2, 13, 14). Et fort souvent les Juifs incroyants se livraient à des injures (Actes 13: 45 ; 18: 6 ; 1 Timothée l: 13 ; voir aussi Actes 26: 11).

 

« Le beau nom que vous portez » — On ferait mieux de traduire cette dernière expression par « qui a été invoqué sur vous ». Le beau nom de Dieu tut plusieurs fois invoqué sur le peuple d’Israël, et toujours l’action indiquait la consécration du peuple au service de Dieu (voir, par exemple, Deutéronome 28: 10 ; 2 Chroniques 7 : 14 ; Jérémie 14: 9). Amos prédit le jour où le beau nom sera invoqué sur les païens (9: 12), en faisant allusion à « toutes les nations sur lesquelles mon nom a été invoqué ».

 

Il est bien significatif que cette expression ne se trouve que deux fois dans le Nouveau Testament : une fois dans ce verset même de l’épître de Jacques, et l’autre fois dans le discours de Jacques dans Actes 15 où il cite Amos 9: 12, rapportant ce dernier passage à l’appel des païens (versets 14-18). — Nouvelle petite concordance qui nous aide à identifier l’auteur de l’épître avec « Jacques, le frère du Seigneur » dont il est question dans Actes 15.

 

Le beau nom qu’outrageaient les Juifs riches et incroyants était donc le nom de Jésus-Christ, qui est invoqué sur chacun de ses disciples au moment où il se consacre au service de son Maître par le baptême (voir Actes 2: 38 ; 8: 16 ; 10: 48).

 

 

8 La Loi Royale (2: 8-13)

 

Entre la thèse des versets 1-7 et celle des versets 8-13 de Jacques 2 il y a un lien étroit que l’on n’aperçoit pourtant qu’avec difficulté ; dans le grec cette liaison est indiquée par le mot de mentoi au commencement du verset 8, mot que Segond ne traduit pas et qui veut dire cependant. En effet, Jacques suppose que quelques-uns de ses auditeurs aillent justifier leur respect pour les riches en disant que la parole de Dieu leur ordonnait d’aimer leurs prochains (y compris les riches) comme eux-mêmes :

 

« Si, (cependant), vous accomplissez la loi royale, selon l’Écriture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous faites bien »

(Jacques 2: 8).

« La loi royale » : beaucoup des règlements de la loi de Moïse ne possédaient qu’une signification passagère, mais certains des commandements faisaient partie de la loi permanente qui règle les relations entre l’homme et Dieu. C’est à cette loi-ci que Jacques fait allusion comme à « la loi royale » — royale d’abord parce qu’elle provient de Celui qui est le « bienheureux et seul souverain, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (1 Timothée 6: 15), et qui nous a appelés à être pour Lui « une nation sainte, un peuple acquis » (1 Pierre 2: 9) ; royale aussi parce que cette loi a été adoptée et confirmée, comme base de son évangile, par Jésus — par ce même Jésus que Dieu a choisi pour être le roi du royaume dont Jacques vient de parler dans le verset 5.

 

L’un des commandements les plus importants de cette loi royale se trouve dans Lévitique 19: 18 :

 

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

 

Jésus parle de ce commandement (Matthieu 22: 39) comme du second des deux plus grands commandements de la loi. « Si, en montrant du respect pour les riches, vous tenez vraiment à accomplir un commandement important de la loi royale, dit Jacques à ses auditeurs, très bien ! » (On sent ici un peu d’ironie.) — « Très bien ! », mais il faut remarquer, dit Jacques, que ce commandement s’applique tout autant aux pauvres qu’aux riches ; on ne doit pas faire des distinctions en l’accomplissant ; on ne doit pas l’accomplir à l’égard des riches tout en méconnaissant les pauvres ! Agir comme cela, c’est faire acception de personnes ; et :

 

« Si vous faites du favoritisme, vous commettez un péché, vous êtes condamnés par la loi comme des transgresseurs »

(verset 9).

La loi royale qui exige l’amour de son prochain dans Lévitique 19: 18 condamne dans le verset 15 du même chapitre toute acception de personnes, comme contraire à la nature et aux voies de Dieu :

 

« Tu ne commettras point d’iniquité dans tes jugements : tu n’auras point égard à la personne du pauvre, et tu ne favoriseras point la personne du grand, mais tu jugeras ton prochain selon la justice ».

Jacques déclare, et avec raison, que

 

« Quiconque observe toute la loi, mais pèche contre un seul commandement, devient coupable de tous »

(verset 10) ;

il démontre cette vérité en citant deux autres commandements de la loi royale :

 

« En effet, celui qui a dit : tu ne commettras point d’adultère, a dit aussi : lu ne tueras point. Or, si tu ne commets point d’adultère, mais que tu commettes un meurtre, tu deviens transgresseur de la loi »

(verset 11).

De même, si nous faisons profession d’aimer notre prochain, tout en faisant acception de personnes, nous devenons de ce fait transgresseurs de la loi — la loi royale.

 

On peut noter en passant que l’expression « vous faites bien » ou « très bien » du verset 8 se trouve aussi dans le grec d’Actes 15: 29 (« vous trouverez bien ») — c’est-à-dire dans la lettre envoyée aux frères d’entre les païens, et rédigée tout probablement par Jacques, « le frère du Seigneur ».

 

Jacques termine sa thèse sur l’acception de personnes en rappelant au souvenir de ses auditeurs (versets 12 et 13) qu’ils allaient comparaître tous un jour devant le tribunal de Dieu (voir Rom. 14: 10 ; 2 Cor. 5: 10). Dans ce jour-là ils seraient tous jugés selon la loi royale, la loi de la liberté (voir 1: 25 et nos remarques là-dessus) ; il fallait donc parler et agir comme l’exigeait cette loi (verset 12), il fallait éviter toute acception de personnes. L’insistance de Jacques sur l’importance de s œuvres et des paroles est tout à fait caractéristique de sa lettre, et nous rappelle de nouveau les paroles de Jésus (Matt. 7: 21 ; 12: 36,37) :

 

« Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! n’entreront pas tous dans le royaume des deux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les deux » ;

« Je vous le dis : au jour du jugement, les hommes rendront compte de toute parole vaine qu’ils auront proférée. Car par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné ».

Dans ses relations avec la race humaine, Dieu se manifeste surtout comme un Dieu miséricordieux et plein de grâce : Il est

 

« L’Éternel, l’Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité »

(Exode 34: 6).

C’est dans Sa miséricorde qu’Il nous a donné un Sauveur ; c’est dans Sa miséricorde qu’Il nous jugera « au jour du jugement » — mais à condition que nous nous montrions miséricordieux à notre tour :

 

« Avec celui qui est bon tu te montres bon »

(Ps. 18: 26) ;

« Heureux les miséricordieux,

car ils obtiendront miséricorde ! »

(Matthieu 5: 7).

Dans la parabole du serviteur impitoyable, nous apprenons le destin de l’homme qui ne se montre pas miséricordieux (voir Matthieu 18: 23-35). Or, faire acception de personnes, c’est le contraire de se montrer miséricordieux envers son prochain ; en effet, c’est l’homme qui vient parmi nous « misérablement vêtu » qui a surtout besoin de notre aide et de notre bonté.

 

« Parlez et agissez comme devant être jugés par une loi de liberté, car le jugement est sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde »

(Jacques 2: 12, 13).

Mais, d’autre part :

 

« La miséricorde triomphe du jugement »

(verset 13),

 

c’est-à-dire, du jugement non favorable et qui est condamnation. Dieu préfère toujours manifester Sa bonté plutôt que Sa colère: et pour ceux qui auront fait preuve de miséricorde la miséricorde de Dieu triomphera du jugement.

 

9 La Foi et les Œuvres (2: 14-26)

 

Dans les versets 2-25 du premier chapitre de sa lettre, Jacques soutient une thèse continue qui se termine par une forte insistance sur la nécessité de mettre en pratique la parole. Dans les versets suivants, jusqu’au verset 13 du deuxième chapitre, il traite de certaines œuvres qui sont le fruit d’obéissance à la parole. La considération de ces œuvres est reprise dans le chapitre 3 ; mais les versets 14-26 du deuxième chapitre constituent en quelque sorte une parenthèse dans laquelle Jacques insiste de nouveau sur l’importance, déjà démontrée dans le premier chapitre, de mettre en pratique la parole. Il y a néanmoins une liaison étroite entre la pensée de ces versets et celle des versets précédents, et Jacques est poussé sans doute à cette nouvelle insistance sur les œuvres en conséquence de ses réflexions dans les versets 1-13 sur l’avilissement des pauvres et sur la miséricorde qui seule peut triompher du jugement.

 

Lorsque les Juifs retournaient en Palestine après leur exil en Babylone, ils étaient tout à fait guéris du culte des idoles, raison pour laquelle Dieu leur avait infligé l’exil ; mais ils tombaient vite dans l’autre erreur d’un orgueil arrogant à cause de leur religion monothéiste et distinctive. Ils se glorifiaient de ce qu’ils étaient fils d’Abraham et leur attachement nominal aux divers articles de la foi de leurs pères suffisait, pensaient-ils, pour les sauver. C’est bien là l’attitude condamnée par Jean-Baptiste (Matthieu 3: 7-10) :

 

« Mais, voyant venir à son baptême beaucoup de pharisiens et de sadducéens, il leur dit : Races de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Produisez donc du fruit digne de la repentance, et ne prétendez pas dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père ! Car je vous déclare que de ces pierres-ci Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Déjà la cognée est mise à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu ».

Voilà aussi l’attitude que condamne Jacques chez les Juifs convertis de la dispersion, c’est-à-dire chez ceux d’entre ces Juifs qui se bornaient à faire profession de leur attachement à leur nouvelle foi chrétienne sans laisser celle-ci produire des œuvres miséricordieuses (2: 14) :

 

« Mes frères, que sert-il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Cette foi (selon le grec : cette foi-là) peut-elle le sauver ? ».

Nous avons déjà noté que dans le premier chapitre Jacques emploie souvent le mot de tentation dans deux sens ; constatons maintenant que dans sa lettre le mot de foi s’emploie aussi dans deux sens : en général, chez Jacques comme chez Paul, la foi signifie une croyance absolue et une confiance sans réserve en Dieu et en Ses promesses (voir par exemple 1: 3, 6 ; 2: 1, 5, 22) ; mais dans les versets que nous considérons à présent le mot prend quelquefois une signification beaucoup plus limitée : un homme, semble dire Jacques au verset 14, peut faire profession de sa foi, mais si cette foi ne produit pas de bons fruits elle n’est que l’acceptation intellectuelle de certains dogmes religieux, orthodoxie stérile qui n’a aucune valeur devant Dieu et qui ne peut point nous sauver dans le jugement dont vient de parler Jacques (versets 12, 13). Il se peut bien que Jacques pense ici aux paroles de Jésus dans Matthieu 7: 21 :

 

« Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! n’entreront pas tous dans le royaume des deux, mais seulement celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les deux »;

également dans Matthieu 25: 31-46 (voir surtout versets 34-36, 40-43,45,46) où il décrit les conditions du jugement.

 

« Que sert-il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Cette foi peut-elle le sauver ? ».

En traitant de cette question dans les versets suivants Jacques fait preuve de cette vigueur et de cette vivacité qui sont tout à fait caractéristiques de son style et qui se manifestent surtout dans les affirmations brusques et énergiques, dans les questions éloquentes et dans l’ironie dont il est maître. Il fournit maintenant quelques exemples, quelques preuves, du principe qu’il a posé dans le chapitre 2 verset 14. Il le premier exemple (versets 15, 16) nous indique que les œuvres auxquelles Jacques pense ne sont ni cérémonials ni ascétiques, mais surtout des œuvres inspirées par la bienveillance et par la miséricorde :

 

« Si un frère ou une sœur sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour » :

 

description d’une misère extrême qui nous rappelle l’allusion (verset 2) à l’homme pauvre et misérablement vêtu, A l’époque où Jacques écrivait sa lettre, l’église de Jérusalem subissait fort probablement les premiers effets de la grande famine prédite par Agabus (Actes 11: 27-30). Il se peut bien que Jacques ait été témoin d’une scène telle qu’il décrit ici, et qu’il tire cet exemple de sa propre expérience.

 

« Allez en paix » : bénédiction très répandue parmi les Juifs, dite généralement à quelqu’un dont on avait satisfait les besoins ; notons, par exemple, l’usage faite de cette expression par Jésus dans Luc 7: 48-50 :

 

« Il dit à la femme : Tes péchés sont pardonnés. Ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : Qui est celui-ci qui pardonne même les péchés ? Mais Jésus dit à la femme : Ta foi t’a sauvée, va en paix » ;

et de nouveau dans Luc 8: 47,48 :

 

« La femme, se voyant découverte, vint toute tremblante se jeter à ses pieds, et déclara devant tout le peuple pourquoi elle l’avait touché, et comment elle avait été guérie à l’instant. Jésus lui dit : Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix ».

Dans les circonstances évoquées par Jacques, l’expression ne serait donc qu’une plaisanterie vide de sens, méritant bien sa question ironique : « A quoi cela sert-il ? » On pourrait qualifier une telle attitude de « compassion », mais c’est une compassion morte et sans valeur, manquant la force vivifiante des œuvres charitables ; et, dit Jacques (verset 17) :

 

« Il en est ainsi de la foi : si elle n’a pas les œuvres, elle est morte en elle-même ».

 

L’apôtre Jean évoque (I Jean 3: 17-19) une situation tout à fait analogue à celle citée par Jacques :

 

« Si quelqu’un possède les biens du monde, et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme les entrailles, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? Petits enfants, n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité. Par là nous connaîtrons que nous sommes de la vérité, et nous rassurerons nos cœurs devant lui ».

Et Paul (Romains 5: 1, 2 ; 6: 1, 2, 19-22) démontre aussi qu’il accepte le principe établi par Jacques:

 

« Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, à qui nous devons d’avoir eu par la foi accès à cette grâce... Que dirons-nous donc ? Demeurerions-nous dans le péché, afin que la grâce abonde ? Loin de là ! Nous qui sommes morts au péché, comment vivrions-nous encore dans le péché ?... De même donc que vous avez livré vos membres comme esclaves à l’impureté et à l’iniquité, pour arriver à l’iniquité, ainsi maintenant livrez vos membres comme esclaves à la justice, pour arriver à la sainteté... Étant affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, vous avez, pour fruit la sainteté et pour fin la vie éternelle ».

Arrivé à ce point, Jacques introduit une troisième personne qui fournit deux arguments de plus pour soutenir la thèse de Jacques. Pour signaler la force exacte du verset 18 il faut remplacer le mot « mais » qu’emploie Segond par une expression quelconque comme « en effet » :

 

« [En effet] quelqu’un dira : Toi tu as la foi; et moi, j’ai les œuvres. Montre-moi ta foi sans les œuvres, et moi, je te montrerai la foi (ou plutôt: ma foi) par mes œuvres ».

Ce que cette troisième personne veut indiquer par son appel, c’est qu’une foi véritable et vivante doit montrer sa présence et sa vitalité par des œuvres qui en sont, en effet, le fruit. Notons en passant que Jacques ne nie point la nécessité absolue de la foi ; seulement, il insiste que la foi qui est valable devant Dieu, la foi qui peut nous sauver, est quelque chose de vivace, d’actif, produisant de bons fruits — précisément ce que dit aussi Jésus (Matthieu 7: 19, 20) :

 

« Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez ».

Écoutons aussi Paul, qui parle (Galates 5: 6) de :

 

« La foi qui est agissante par l’amour ».

 

Le troisième personnage dans l’argument de Jacques soutient que ses propres œuvres sont le témoignage de quelque chose de supérieur aux œuvres, témoignage d’une foi et d’une confiance en Dieu très réelles et vivaces ; sans œuvres, la foi n’est rien moins qu’une acceptation formelle de dogmes religieux. Il développe sa thèse en présentant un autre argument (verset 19) :

 

« Tu crois qu’il y a un seul Dieu, tu fais bien ; les démons le croient aussi, et ils tremblent ».

« Un seul Dieu » : voilà le premier article de la religion juive, énoncé dans Deutéronome 6: 4 :

 

« Écoute, Israël ! l’Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel »,

 

répété deux ou trois fois par jour par tout Juif pieux; et murmuré par le Juif mourant pour assurer son salut étemel. Cette vérité est pour le chrétien aussi la base de sa foi :

 

« Jésus répondit : Voici le premier [commandement] : Écoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur »

(Marc 12: 29) ;

« Pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes »

(I Corinthiens 8: 6) ;

« Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, et parmi tous, et en tous »

(Éphésiens 4: 5, 6).

Il est donc tout à fait naturel que Jacques, voulant démontrer la différence entre une foi factice et une foi réelle, renvoie à ce commandement.

 

« Tu crois qu’il y a un seul Dieu, tu fais bien », dit Jacques, avec la même ironie qu’il a montrée en faisant usage de cette expression dans le verset 8. « Mais sachez que les démons le croient aussi ! et pour eux cette croyance n’est point la source de paix et de salut, mais seulement d’un grand tremblement ! » Il songe sans doute à certains des miracles de Jésus où il était question de guérir des démoniaques ; souvent, au cours de la guérison, les « démons » se sont écriés en reconnaissant avec des tremblements le pouvoir de Dieu qui les chassait (voir, par exemple, Matthieu 8: 29 ; Marc 5: 7 ; Luc 4: 41). Ainsi Jacques fait voir, par la troisième personne dans son argument, qu’il y a une sorte de foi qui n’existe que dans un état mort, et que cette « foi » n’a aucun rapport avec la vie éternelle : elle a la même relation avec la foi réelle et valable que le cadavre d’un homme avec l’homme lui-même, vivant et actif ; elle est « morte en elle-même »,

 

Dans le verset 20 Jacques reprend lui-même son argument et pose la question :

 

« Veux-tu savoir, ô homme vain, que la foi sans les œuvres est inutile ? » (ou plutôt « stérile » ).

« Veux-tu savoir » : c’est-à-dire, « Veux-tu savoir autoritairement et sans possibilité de doute ? ». Et Jacques avance maintenant la preuve finale et définitive que la vraie foi se montre dans les œuvres : la preuve que ni Juif ni chrétien ne peuvent nier, la preuve de l’Écriture elle-même. L’Écriture nous fait voir formellement que « la foi sans les œuvres est stérile » — stérile, c’est-à-dire à l’égard de notre salut : la foi qui ne produit pas d’œuvres ne produit pas non plus le salut. Jacques cite d’abord le cas d’Abraham pour prouver sa thèse :

 

« Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les œuvres, lorsqu’il offrit son fils Isaac sur l’autel ? »

(verset 21).

L’exemple d’Abraham était à la fois le mieux connu et le plus revêtu d’autorité que Jacques pût choisir. Comme Jacques l’indique, il était le père de la nation juive (« notre père » — expression qui fait voir l’origine juive des chrétiens à qui Jacques écrivait) ; c’est à lui que Dieu avait fait les plus grandes et les plus précieuses promesses sur lesquelles l’espérance d’Israël était basée. La foi et les expériences d’Abraham étaient beaucoup discutées par les rabbins, et il est tout à fait naturel que Jacques (ainsi que Jésus — Jean 8, et Paul — Romains 4, Galates 3, Hébreux 6 et 11) le choisisse pour prouver sa thèse.

 

Abraham fut « justifie » : mot qui signifie en général dans l’Écriture, absous, ou bien, compté juste. Du publicain qui se frappait la poitrine en disant : « O Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur », Jésus a dit : « Celui-ci descendit dans sa maison justifié (compté juste) plutôt que l’autre » (Luc 18: 13, 14). Nul homme n’est juste en lui-même : « Il n’y a point de juste, pas même un seul » (Romains 3: 10) ; mais par l’opération de la grâce de Dieu un homme peut être regardé comme juste à cause de son attitude envers Dieu, selon qu’il est écrit (Psaume 32: 1, 2) :

 

« Heureux celui à qui la transgression est remise,

A qui le péché est pardonné !

Heureux l’homme à qui l’Éternel n’impute pas l’iniquité » ;

et aussi (Romains 3: 23, 24) :

 

« Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ » .

Et pourtant Jacques nous dit qu’Abraham fut « justifié par les œuvres, lorsqu’il offrit son fils Isaac sur l’autel ».

 

Ici il faut consulter deux passages de la Genèse où il est question de la justice d’Abraham. D’abord, dans Genèse 15: 3-6, nous lisons :

 

« Et Abram dit : Voici, tu ne m’as pas donné de postérité, et celui qui est né dans ma maison sera mon héritier. Alors la parole de l’Éternel lui fut adressée ainsi : Ce n’est pas lui qui sera ton héritier, mais c’est celui qui sortira de tes entrailles qui sera ton héritier. Et après l’avoir conduit dehors, il dit : Regarde vers le ciel, et compte les étoiles, si tu peux les compter. Et il lui dit : Telle sera Ta postérité. Abram eut confiance en l’Éternel, qui le lui imputa à justice ».

Plus tard, dans Genèse 22: 1, 2, l’Écriture nous dit qu’après la naissance d’Isaac, l’enfant de la promesse de Genèse 15,

 

« Dieu mit Abraham à l’épreuve... Dieu dit : Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t’en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je te dirai ».

Abraham obéit, et au moment où il étendait la main pour tuer son fils, l’ange de l’Éternel l’arrêta, disant (versets 12, 16-18) :

 

« N’avance pas la main sur l’enfant, et ne lui fais rien ; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique... Je le jure par moi-même, parole de l’Éternel ! parce que tu as fait cela, et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te bénirai et je multiplierai la postérité, comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le bord de la mer ; et ta postérité possédera la porte de ses ennemis. Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité, parce que tu as obéi à ma voix ».

Constatons maintenant que dans Genèse 15 c’est par sa foi dans les promesses de Dieu qu’Abraham est justifié ; dans Genèse 22 il est justifié et béni à cause de son obéissance au commandement de Dieu. Mais il n’y a aucune contradiction entre les deux incidents : la foi de Genèse 15 est une pleine confiance en Dieu qui se montrera dans les œuvres quand en viendra l’occasion ; les œuvres de Genèse 22 procèdent de cette même confiance en Dieu — seulement il y a un changement d’accent, et dans Genèse 15 c’est plutôt la foi qui est à remarquer, tout autant que dans Genèse 22 ce sont les œuvres. Dans son commentaire sur cet incident Jacques ne nie point la foi d’Abraham, mais il tient de nouveau à signaler le caractère vivant et actif de sa foi (Jacques 2:22) :

 

« Tu vois que la foi agissait avec ses œuvres, et que par les œuvres la foi fut rendue parfaite ».

Dans le grec il y a un contraste entre l’expression « sans les œuvres » du verset 20 et l’expression « avec ses œuvres » du verset 22.

 

« Par les œuvres la foi fut rendue parfaite » : mot qui signifie formée ou consommée. Jacques pense ici à la consommation et au perfectionnement de la foi par les épreuves dont il a déjà parlé ( 1: 3,4) :

 

« L’épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse parfaitement son œuvre, afin que vous soyez parfaits et accomplis, sans faillir en rien ».

« Maintenant, dit Dieu, je sais que tu crains Dieu »

(Genèse 22: 12).

Le commentaire de John Thomas sur la foi et les œuvres d’Abraham nous aide beaucoup à comprendre les voies de Dieu à ce sujet :

 

« Comme pécheur, écrit-il, Abraham fut justifié à l’égard de ses péchés quand sa foi lui fut imputée à justice ; et comme saint il fut justifié par les œuvres quand il offrit Isaac sur l’autel... Si un homme croit en Dieu et s’il obéit à l’évangile, ses péchés passés lui sont pardonnés ; mais si, par la suite, il marche selon le train du monde, sa foi est prouvée morte et il perd tout droit à la vie éternelle ».

Ce fut donc par les œuvres que la foi d’Abraham fut rendue parfaite ;

 

et « ainsi s’accomplit ce que dit l’Écriture : Abraham crut en Dieu, et cela lui fut imputé à justice ; et il fut appelé ami de Dieu » (verset 23). L’Écriture de Genèse 15: 6, à laquelle Jacques fait allusion, se compose de deux déclarations :

 

d’abord qu’Abraham « crut en Dieu » et ensuite que cette foi « lui fut imputée à justice ». Dans les incidents de Genèse 22, les deux déclarations trouvent leur accomplissement : la première, parce que quand Abraham offre Isaac sur l’autel ses actions prouvent la réalité robuste et vivante de sa foi en Dieu ; la seconde, parce que Dieu bénit Abraham de nouveau à cause de ses œuvres et confirme par un serment les promesses de Genèse 15: 4, 5 (voir Genèse 22: 16-18).

 

 

C’est à cet accomplissement de l’Écriture que Paul fait allusion dans Hébreux 6: 13-15:

 

« Lorsque Dieu fit la promesse à Abraham, ne pouvant jurer par un plus grand que lui, il jura par lui-même, et dit : Certainement, je le bénirai et je multiplierai ta postérité. Et c’est ainsi qu’Abraham, ayant persévéré, obtint ce qui lui avait été promis ».

Et Paul, de même que Jacques, trouve dans le cas d’Abraham une exhortation pour ses auditeurs, à savoir qu’ils doivent imiter « ceux qui, par la foi et la persévérance, héritent des promesses » (Hébreux 6: 12). C’est à cause de cette persévérance, l’opération de la foi, dit Jacques, qu’Abraham a été appelé ami de Dieu — allusion à Ésaïe 41: 8, où Dieu parle d’Abraham « que j’ai aimé ».

 

L’analyse de l’expérience d’Abraham se termine dans le verset 24, où Jacques résume nettement le sens de cette expérience :

 

« Vous voyez que l’homme est justifié par les œuvres, et non par la foi seulement ».

 

C’est la foi seule, « agissant avec les œuvres », qui puisse nous justifier devant Dieu, qui puisse, par la grâce de Dieu, nous constituer héritiers de la vie éternelle.

 

Jacques cite maintenant un autre cas dans l’Écriture qui renforce sa thèse:

 

« Rahab la prostituée ne fut-elle pas également justifiée par les œuvres, lorsqu’elle reçut les messagers et qu’elle les fit partir par un autre chemin ? »

(verset 25)

— exemple qui possède tout autant de force que celui d’Abraham. Car voilà une femme célèbre, comme l’était Abraham, dans l’histoire d’Israël, et dont la foi, tout comme la sienne, était beaucoup discutée par les rabbins : femme d’ailleurs, de race étrangère, faible et pécheresse. Il est donc tout à fait naturel que Jacques, comme Paul (Hébreux 11: 31) cite cet exemple pour appuyer son argument : il y trouve une preuve excellente de l’universalité du principe dont il parle.

 

Dans Josué 2: 9-11, nous lisons qu’après avoir caché les espions Rahab monta vers eux sur le toit et leur dit :

 

« L’Éternel, je le sais, vous a donné ce pays ; la terreur que vous inspirez nous a saisis, et tous les habitants du pays tremblent devant vous... car c’est l’Éternel, votre Dieu, qui est Dieu en haut dans les deux et en bas sur la terre. »

— déclaration positive de foi en Dieu. Déjà, en cachant les espions, elle a donné une preuve de la réalité et de la vitalité de sa foi ; ensuite elle en a donné une autre :

 

« Elle les fit descendre avec une corde par la fenêtre, car la maison qu’elle habitait était sur la muraille de la ville. Elle leur dit : Allez du côté de la montagne, de peur que ceux qui vous suivent ne vous rencontrent ; cachez-vous là pendant trois jours, jusqu’à ce qu’ils soient de retour ; après cela, vous suivrez votre chemin"

(Josué 2: 15, 16),

En prenant ces dispositions pour faciliter l’évasion des espions Rahab fait voir sa confiance dans la victoire des Israélites et sa certitude que son propre salut dépendrait du retour des espions au camp d’Israël.

 

En écrivant aux Hébreux, Paul tient surtout à souligner la foi de Rahab:

 

« C’est par la foi que Rahab la prostituée ne périt pas avec les rebelles » ;

 

mais Paul indique en passant que la foi de Rahab était valable parce qu’elle agissait avec les œuvres, car il ajoute :

 

« parce qu’elle avait reçu les espions avec bienveillance »

(Hébreux 11:31).

Jacques ne nie point la foi de Rahab ; seulement il insiste sur le fait que cette foi se montrait par les œuvres « lorsqu’elle reçut les messagers et qu’elle les fit partir par un autre chemin ». Sa foi était beaucoup plus qu’une simple reconnaissance de l’existence et du pouvoir du Dieu d’Israël : elle avait fait naître en elle une confiance vivante en Dieu, une conviction que ce qu’Il avait promis Il pouvait aussi l’accomplir ; et cette confiance lui avait inspiré le désir d’agir selon la volonté de Dieu.

 

Ainsi l’exemple de Rahab, tout autant que celui d’Abraham, nous montre que,

 

« comme le corps sans esprit est mort, de même la foi dans les œuvres est morte »

(verset 26).

Cette foi seule est vivante, et a de la valeur devant Dieu, que vivifient les œuvres. La vie du corps se montre par ses actions ; l’existence de la foi se montre également par les bonnes œuvres.

 

Pour terminer notre étude de la thèse de Jacques sur la foi et les œuvres, nous devons considérer assez sommairement la relation entre cette thèse et celle de Paul au même sujet. Grand nombre de critiques trouvent ces deux thèses contradictoires ; ils juxtaposent volontiers la déclaration de Jacques :

 

« La foi sans les œuvres est morte »,

 

et celle de Paul (Romains 3: 28 ; Galates 2: 16) :

 

« L’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi » ;

 

et en plus, l’argument de Jacques qu’Abraham a été justifié « par les œuvres » et celui de Paul qu’Abraham « crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice » (Romains 4: 3).

 

En vérité il n’y a aucune contradiction entre les deux thèses. Les œuvres que Paul déclare incapables de justifier sont « les œuvres de la loi » — actes cérémonieux et autres actions qui ne provenaient point de la foi et que l’on n’accomplissait que pour se conformer à la loi ; œuvres que condamnerait Jacques aussi. En citant le cas d’Abraham Paul tient seulement à souligner qu’un homme est justifié tout d’abord par la foi seule, par sa croyance en Dieu et en Ses promesses (idée implicite dans l’argument de Jacques). Et nous avons déjà vu que Paul insiste tout autant que Jacques que la vraie foi se manifeste par les œuvres (Romains 5: 1, 2 ; 6: 1, 2, 19-22 ; Galates 5: 6 ; Hébreux 6: 15). La « foi » que Jacques condamne n’est point la même chose que la foi dont parle Paul comme nécessaire au salut ; les « œuvres de la loi » que condamne Paul ne sont point identiques avec les œuvres dont parle Jacques — œuvres inspirées par la foi, et qui perfectionnent celle-ci.

 

Paul ou Jacques fait-il par hasard allusion aux idées de l’autre ? Ce qui est certain, c’est que les épîtres circulaient beaucoup parmi les églises du premier siècle ; il est donc difficile de croire que Paul pourrait demeurer longtemps ignorant de la lettre de Jacques, ou Jacques des lettres de Paul. Mais la question d’une liaison plus étroite est assez douteuse. On a suggéré que Jacques a écrit après Paul et qu’il tenait à corriger des perversions de la doctrine de Paul ; mais il ne serait guère nécessaire de mettre les chrétiens juifs en garde contre des perversions de l’enseignement de l’apôtre aux païens, et cette idée ne s’accorde point avec Jacques 1: 26, 27. Et de plus, nous croyons avoir démontré dans plusieurs chapitres précédents que selon toute probabilité Jacques a écrit avant Paul. Est-ce que Paul donc corrigeait quelque perversion populaire et judaïque de la doctrine de Jacques ? Conjoncture peu probable, car, comme nous venons de noter, la ressemblance entre les thèses de Paul et de Jacques n’est que superficielle ; et même les allusions à Abraham et à Rahab sont tout à fait naturelles, eu égard à l’importance de ces personnes dans la tradition juive.

 

Nous concluons donc, avec le théologien anglais E.H. Plumtree, que la lettre de Jacques est probablement « tout à fait indépendante, antérieure à celles de Paul, suivant son propre fil d’idées et développant sa thèse à elle ».

 

 

10 L’usage de la langue (3:1-12)

 

Dans le chapitre 3, Jacques reprend son exposé des moyens par lesquels nous devrions mettre en pratique la parole de Dieu :

 

« Mes frères, qu’il n ‘y ait pas parmi vous un grand nombre de personnes qui se mettent à enseigner, car vous savez que nous serons jugés plus sévèrement »

(3: 1).

Constatons tout d’abord que Jacques ne condamne point le simple désir d’enseigner : œuvre, au contraire, excellente et bien nécessaire. Paul écrit à Timothée :

 

« Si quelqu’un aspire à la charge d’évêque, il désire une œuvre excellente »

(1 Timothée 3: 1).

Et aux Thessaloniciens il parle de l’affection que nous devrions ressentir envers ceux qui nous enseignent :

 

« Nous vous prions, frères, d’avoir de la considération pour ceux qui travaillent parmi vous, qui vous dirigent dans le Seigneur, et qui vous exhortent. Ayez pour eux beaucoup d’affection, à cause de leur œuvre »

(1 Thessaloniciens 5: 12, 13).

Mais le service de Dieu comprend une grande diversité d’œuvres parmi lesquelles l’enseignement, quoique très important, n’est qu’une seule :

 

« Car, comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ... Le corps n’est pas un seul membre, mais il est formé de plusieurs membres... Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe ? S’il était tout ouïe, où serait l’odorat ? »

(1 Corinthiens 12: 12-17).

Si tous les disciples enseignent, qui va visiter les orphelins et les veuves ? Qui va soigner les malades ?

 

« Qu’il n’y ait pas parmi vous un grand nombre de personnes qui se mettent à enseigner ».

D’ailleurs on peut rechercher la fonction d’instructeur non par souci pour le troupeau de Dieu mais, comme Diotrèphe (3 Jean 9), parce qu’on aime à être le premier parmi les disciples. Ce fut là l’erreur des scribes et des pharisiens, erreur condamnée par Jésus (Matthieu 23: 5-7) :

 

« Ils font toutes leurs actions pour être vus des hommes... Ils aiment à être salués dans les places publiques, et à être appelés par les hommes Rabbi, Rabbi »,

faute qui pourrait bien se reproduire parmi les Juifs convertis de la dispersion ; erreur, enfin, qui se développait dans grand nombre des églises, d’origine païenne comme d’origine juive, au fur et à mesure que les disciples se multipliaient. Paul (1 Corinthiens 12: 14) a dû censurer ceux de Corinthe qui faisaient usage des dons de l’Esprit pour se faire valoir ; et Pierre (2 Pierre 2) a vigoureusement condamné les faux docteurs qui, pour cette même raison, introduisaient des sectes pernicieuses. Ainsi Jacques tient à souligner les responsabilités graves de ceux qui se mettent à enseigner (voir aussi 1 Timothée 3) ; ils doivent se rendre compte du jugement sévère qu’ils subiront si le Seigneur les trouve infidèles :

 

« Vous savez que nous serons jugés plus sévèrement »

(3: 1)

(et notons l’humilité de Jacques impliquée dans ce mot « nous »). Exhortation alors que nous devons tous mettre en pratique humblement, mais énergique-ment ; c’est un devoir essentiel que Dieu nous recommande, nous disant d’éviter toute aspiration à être prééminent.

 

Parmi toutes les tentations que connaît celui qui se met à enseigner, il n’y a rien de plus difficile à surmonter que la langue rebelle, car voilà un petit membre possédant un grand pouvoir — tant pour le bien que pour le mal. Et Jacques considère maintenant d’une manière assez détaillée l’usage de la langue (voir aussi 1: 19, 26 ; 2: 12 ; 4: 13-17). Il ne faut pas limiter l’application de ses paroles à ceux qui enseignent, car Jacques lui-même traite du sujet sous ses aspects universels, et nous trouverons dans son exposé beaucoup de conseils — catégoriques et sévères comme toujours chez Jacques, mais très salutaires et d’une grande élévation.

 

« Nous bronchons tous de plusieurs manières » :

 

vérité que la nature humaine trouve toujours difficile à admettre. Parmi nous « il n’y a point de juste, pas même un seul » (Romains 3: 10) ; mais si nous pouvons recevoir cette vérité elle nous rend humbles et aptes à être instruits, et nous transforme sous l’influence de l’Esprit de Dieu.

 

« Nous bronchons tous de plusieurs manières. Si quelqu’un ne bronche point en paroles, c’est un homme parfait, capable de tenir tout son corps en bride »

(3: 2 ; notons aussi l’écho du langage du chapitre 1: 26).

 

Tellement il est difficile de dompter la langue que Jacques peut parler de l’homme qui arrive à la gouverner comme capable de tenir en bride toutes ses passions. Ce serait « un homme parfait », entièrement maître de soi. Jacques éclaircit ce point en faisant usage de deux exemples (versets 3 et 4) :

 

« Si nous mettons le mors dans la bouche des chevaux pour qu’ils nous obéissent, nous dirigeons ainsi leur corps tout entier. Voici, même les navires, qui sont si grands et que poussent des vents impétueux, sont dirigés par un très petit gouvernail, au gré du pilote ».

L’homme qui tient les rênes dirige le corps tout entier du cheval ; le pilote qui tient le gouvernail dirige tout le navire ;

 

« De même, la langue est un petit membre, et elle se vante de grandes choses »

(verset 5).

Si nous pouvions dompter la langue, nous développerions assez de force morale pour diriger tout notre être. Malheureusement, comme le dit Jacques plus tard :

 

« La langue, aucun homme ne peut la dompter ; c’est un mal qu’on ne peut réprimer »

(verset 8).

Et, sauf Jésus, aucun homme n’est arrivé à la dompter, à la réprimer. Même Moïse, homme de Dieu, « s’exprima légèrement des lèvres » près de Meriba, et en fut puni (Psaume 106: 32, 33).

 

Trop souvent, même parmi les enfants de Dieu, la langue c’est le « petit feu » (Jacques 3: 5) qui finit par embraser une grande forêt. Le proverbe parle du feu qui reste sur les lèvres de l’homme pervers (Proverbes 16: 27) :

 

« L’homme pervers prépare le malheur, Et il y a sur ses lèvres comme un feu ardent ».

« La langue aussi est un feu »

(Jacques 3: 6) ;

et de plus :

 

« c’est le monde de l’iniquité. La langue est placée parmi nos membres, souillant tout le corps ».

La langue peut être le serviteur et l’instrument de toutes nos pensées et de tous nos mauvais désirs ; constatons aussi que toute parole méchante laisse son empreinte sur notre caractère tout entier. Ainsi la langue devient une sorte de microcosme d’iniquité dont l’influence se répand parmi tout le corps, et le souille. C’est là un exemple très frappant du principe posé par Jésus (Marc 7: 18-23), auquel nous avons plusieurs fois fait allusion :

 

« Rien de ce qui du dehors entre dans l’homme ne peut le souiller... Ce qui sort de l’homme, c’est ce qui souille l’homme. Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les débauches, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme ».

Et très souvent ces mauvaises tendances s’expriment de manière ou d’autre par la langue.

 

« La langue est placée parmi nos membres, souillant tout le corps, et (pour revenir à la métaphore du feu) enflammant le cours de la vie, étant elle-même enflammée par la géhenne »

(Jacques 3: 6).

La mauvaise influence de la langue est si répandue qu’elle enflamme toute la vie humaine — celle de l’individu comme celle de la société. Et notons que c’est par la géhenne qu’est enflammée la langue : « géhenne » est une expression hébraïque qui ne s’emploie dans le Nouveau Testament que dans les Évangiles et dans l’Épître de Jacques. Elle signifie la vallée des fils de Hinnom. C’est dans cette vallée que, pendant l’ère de leur décadence, les Israélites avaient fait passer leurs enfants par le feu en l’honneur de Moloc et de Baal (voir 2 Rois 23: 10 ; Jérémie 7: 31 ; 19: 5, 6). Plus tard on employait cette vallée comme une sorte de fosse immense, pour y brûler toutes les ordures et tout le rebut de Jérusalem dans des feux perpétuels. Ainsi, pour les rabbins et pour Jésus, la géhenne est devenue symbole d’abord de la souillure, ensuite de la destruction (voir, par exemple, Marc 9: 43-46). En faisant usage de cette expression Jacques veut indiquer que les erreurs de la langue proviennent d’une source essentiellement mauvaise, et qui finit par détruire toute vie spirituelle.

 

Pour souligner le grand pouvoir de la langue dans la vie humaine, Jacques nous développe un contraste saisissant : à savoir, le contraste entre la domination qu’exerce l’homme sur les bêtes et son impuissance à l’égard de la langue :

 

« Toutes les espèces de bêtes et d’oiseaux, de reptiles et d’animaux marins, sont domptés et ont été domptés par l’homme; mais la langue, aucun homme ne peut la dompter; c’est un mal qu’on ne peut réprimer ; elle est pleine d’un venin mortel »

(Jacques 3: 7, 8).

Les paroles de Jacques nous rappellent d’abord la loi promulguée par Dieu lors de la création de l’homme (Genèse 1: 26) :

 

« Qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre »

(loi renouvelée à Noé — Genèse 9: 2 — et à laquelle le Psalmiste fait allusion — Psaume 8: 6-9). On ne doute donc point de la domination de l’homme sur les animaux ; mais se dominer soi-même, dominer ses propres passions, dominer la langue par laquelle les passions s’expriment, c’est là tout autre chose ; car la langue « c’est un mal qu’on ne peut réprimer » et que personne, à part Jésus, n’est jamais arrivé à dompter entièrement.

 

La langue, dit Jacques, « est pleine d’un venin mortel ». Le Psalmiste parle (Psaume 140: 4) des hommes méchants et violents qui

 

« ...aiguisent leur langue comme un serpent,

[qui] ont sous leurs lèvres un venin d’aspic ».

En effet, nos paroles possèdent un grand pouvoir, tant pour le mal que pour le bien ; si nous employons la langue d’une manière injurieuse et méchante, nous pouvons être responsables même de la mort de notre prochain, de notre frère — ou de sa mort physique ou de sa mort spirituelle, ou bien de toutes les deux. De plus, le venin de la langue souille tout notre caractère et de ce fait peut être vraiment funeste pour nous-mêmes :

 

« La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; Quiconque l’aime en mangera les fruits »

(Proverbes 18: 21).

Et ce n’est pas seulement la parole franchement méchante qui possède ce pouvoir : toute parole vaine et inconsidérée peut être également funeste, comme le dit Jésus (Matthieu 12: 36, 37) :

 

« Au jour du jugement les hommes rendront compte de toute parole vaine qu’ils auront proférée. Car par tes paroles tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné ».

Pour conclure son exhortation sur l’usage de la langue, Jacques nous signale un autre contraste : le contraste entre ce qui arrive chez l’homme et ce que nous trouvons dans la nature. Par la langue, dit-il (versets 9, 10),

 

« nous bénissons le Seigneur notre Père, et par elle nous maudissons les hommes faits à l’image de Dieu. De la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction ».

C’est là un exemple net et frappant de l’inconstance de l’homme : tantôt il fait usage de la langue pour bénir Dieu, en publiant Sa justice et Sa miséricorde (voir Psaumes 71: 24 ; 145: 21), tantôt il maudit son voisin, celui qui est fait à l’image de Dieu (Genèse 1: 26, 27). Cette inconstance, qui met en question la sincérité de sa louange de l’Éternel, trouve son origine dans cette irrésolution, cette division de foi que Jacques a déjà condamnées (1: 6-8) et auxquelles il fait de nouveau allusion plus loin (4: 4-8). Inconstance, d’ailleurs, condamnée par Jésus (Matthieu 5 :21-24) :

 

« Je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère est passible de jugement ; que celui qui dira à son frère : Raca ! mérite d’être puni par le sanhédrin ; et que celui qui lui dira : Insensé ! mérite d’être puni par le feu de la géhenne. Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis, viens présenter ton offrande ».

Inconstance, enfin, que la nature réprimande partout :

 

« Il ne faut pas, mes frères, qu’il en soit ainsi. La source fait-elle jaillir par la même ouverture l’eau douce et l’eau amère ? Un figuier, mes frères, peut-il produire des olives, ou une vigne des figues ? De l’eau salée ne peut pas non plus produire de l’eau douce »

(Jacques 3: 10-12).

Il est bien évident que l’auteur de ces dernières paroles était un habitant de la Palestine, à qui les sources saumâtres (voir 2 Rois 2: 19), l’eau salée de la Mer morte, les vignes et les figuiers étaient bien familiers. Et en plus, il se peut bien que Jacques pense ici aux paroles que Jésus adresse aux pharisiens :

 

« Ou dites que l’arbre est bon et que son fruit est bon, ou dites que l’arbre est mauvais et que son fruit est mauvais ; car on connaît l’arbre par le fruit. Race de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses, méchants comme vous l’êtes ? Car c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle. L’homme bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et l’homme méchant lire de mauvaises choses de son mauvais trésor »

(Matthieu 12: 33-36 ; voir aussi Matthieu 7: 16, 17).

L’eau salée dont Jacques a parlé ne peut produire de l’eau douce ; et l’homme méchant, comme le dit Jésus, ne peut non plus dire de bonnes choses. En revanche, si nous disons de mauvaises choses, cela indique qu’il y a quelque chose de mauvais dans notre cœur :

 

« Car c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle ».

 

D’ailleurs, si nous employons la langue pour maudire comme pour bénir, les bénédictions que nous prononçons deviennent elles-mêmes souillées et ne valent plus rien. Comme il est inconcevable que la source de l’eau douce fasse jaillir de l’eau amère, que le figuier produise des olives, la vigne des figues, de même il est inadmissible que la langue qui bénit vraiment Dieu, puisse s’avilir à maudire l’homme qui est fait à son image.

 

 

11 La douceur et la vraie sagesse (3: 13-18)

 

Les paroles de Jacques au sujet des mauvais usages de la langue l’amènent tout naturellement à considérer le problème plus général de l’origine des désordres et des querelles dans les églises ; et cette considération se poursuit jusqu’au verset 10 du chapitre 4. Dans la première partie de sa thèse, que nous allons étudier à présent, Jacques fait allusion de nouveau à la sagesse divine dont il parle dans le premier chapitre (1: 5: « Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu » ). Son langage nous rappelle, comme il arrive très souvent, celui des Proverbes ; et, en effet, dans le chapitre 3 des Proverbes nous trouvons quelques déclarations sur la sagesse divine qui évoquent la thèse de Jacques :

 

« Heureux l’homme qui a trouvé la sagesse, Et l’homme qui possède l’intelligence... Ses voies sont des voies agréables, Et tous ses sentiers sont paisibles »

(Proverbes 3: 13, 17).

« Lequel d’entre vous, dit Jacques, est sage et intelligent ? Qu’il montre ses œuvres par une bonne conduite avec la douceur de la sagesse »

(Jacques 3: 13).

Sans doute beaucoup de ses auditeurs faisaient-ils profession de posséder cette sagesse, cette sagesse qui vient d’en haut ; et surtout ceux d’entre eux qui enseignaient. Mais la preuve de l’existence de cette sagesse, chez eux comme chez nous, se trouve dans les œuvres, dans la bonne conduite. Ici Jacques revient au principe qu’il a déjà énoncé plusieurs fois (1: 22-27 ; 2: 14-26) et qui est à la base de toute son épître : l’homme qui croit être religieux, l’homme qui fait profession de sa foi, l’homme qui prétend à la sagesse — tous les trois doivent appuyer leurs prétentions par leurs œuvres. C’est la pratique extérieur qui indique les vraies dispositions du cœur ; « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits ». Et le fruit spécial et caractéristique de la vraie sagesse, c’est la douceur. Que l’homme donc qui prétend à la vraie sagesse montre la douceur qu’elle inspire par ses œuvres et par sa bonne conduite.

 

Malheureusement, parmi ceux qui font profession de la sagesse il y en a pas mal qui se conduisent bien autrement. Et comme nous l’avons déjà noté dans un autre chapitre, même parmi ceux du premier siècle qui aspiraient à enseigner il y en avait qui le faisaient seulement pour se faire valoir et pour introduire des sectes pernicieuses. Jacques nous met en garde contre cette erreur (chapitre 3, versets 14-16) :

 

« Mais si vous avez dans votre cœur un zèle amer et un esprit de dispute, ne vous glorifiez pas et ne mentez pas contre la vérité. Cette sagesse n’est point celle qui vient d’en haut ; mais elle est terrestre, charnelle, diabolique. Car là où il y a un zèle amer et un esprit de dispute, il y a du désordre et toutes sortes de mauvaises actions ».

Le zèle amer et l’esprit factieux que condamne Jacques étaient assez répandus dans les église du premier siècle, et Paul a souvent trouvé nécessaire de les condamner. Il exhorte les Galates à supprimer, comme œuvres de la chair,

 

« les rivalités, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l’envie »

(Galates 5: 19-21).

Aux Corinthiens, il parle de l’origine charnelle et humaine de la jalousie et des disputes, qui troublent l’église :

 

« En effet, puisqu’il y a parmi vous de la jalousie et des disputes, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme ? »

(1 Corinthiens 3: 3).

Il craint de trouver, à son arrivée chez eux,

 

« des querelles, de la jalousie, des animosités, des rivalités, des médisances, des calomnies, de l’orgueil, des troubles »

(2 Corinthiens 12: 20).

Il encourage les disciples à Rome à marcher honnêtement,

 

« comme en plein jour, loin des orgies et de l’ivrognerie, de la luxure et de la débauche, des querelles et des jalousies »

(Romains 13: 13).

 

Si, donc, un homme a dans son cœur un zèle amer et un esprit de dispute, il n’a pas de quoi se glorifier ; il peut faire profession de la sagesse divine, mais il ment contre la vérité ; car la sagesse qui l’inspire est entière-ment terrestre, charnelle, diabolique : cela se fait voir dans les fruits qui en proviennent — fruits non de la douceur et de la bonne conduite, mais du désordre et de toutes sortes de mauvaises actions. C’est en gardant les commandements de Jésus, dit Jean, que nous savons que nous l’avons connu :

 

« Celui qui dit : Je l’ai connu, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n’est point en lui »

(1 Jean 2: 3, 4).

Il y a donc un vif contraste entre les douces influences paisibles de la sagesse qui vient d’en haut et l’amertume factieuse qu’inspire la sagesse terrestre : contraste décrite par Jacques dans des termes qui nous rappellent ses paroles, dans les versets 11 et 12 de ce troisième chapitre, sur l’eau douce et

l’eau amère.

 

Le proverbe dit que tous les sentiers de la vraie sagesse sont paisibles ; Paul nous rappelle que

 

« Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix »

(1 Corinthiens 14: 33) ;

et Jacques termine cet aspect de sa thèse en énumérant les caractéristiques douces et paisibles de la sagesse qui vient de Dieu (versets 17, 18) :

 

« La sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite pacifique, modérée, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, exempte de duplicité, d’hypocrisie. Le fruit de la justice est semé dans la paix par ceux qui recherchent la paix ».

« Premièrement pure » : exempte, en effet, de tout mélange d’impureté terrestre, de toute inconstance. La sagesse terrestre n’a pour but que la satisfaction des convoitises de la chair ; la sagesse d’en haut exige un corps et un esprit chastes. Et c’est seulement si nous avons le cœur pur et simple devant Dieu que nous pouvons jouir de Sa paix — et dans notre propre cœur et dans nos relations avec les autres. Rappelons l’exhortation du premier chapitre (versets 5-8) :

 

« Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu... Mais qu’il la demande avec foi, sans douter ; car celui qui doute est comme un flot de la mer, agité par le vent et poussé de côté et d’autre... c’est un homme irrésolu, inconstant dans toutes ses voies ».

La sagesse d’en haut qui est d’abord pure est aussi pacifique, modérée, conciliante, miséricordieuse, bref, pleine de « bons fruits » — contrastant ainsi avec la sagesse terrestre qui s’exprime dans de « mauvaises actions ». Par suite de sa pureté elle est évidemment exempte de duplicité, d’hypocrisie. Notons bien que Jacques tient à souligner le caractère pratique de la sagesse, comme de la foi (voir chapitre 2) — caractère qui a sa manifestation parfaite dans Jésus-Christ, dont Pierre dit (Actes 10: 38) qu’il « allait de lieu en lieu faisant du bien... car Dieu était avec lui ».

 

Jacques termine cet aspect de son sujet dans le verset 18 de ce troisième chapitre par un résumé clair et saisissant :

 

« Le fruit de la justice est semé dans la paix par ceux qui recherchent la paix ».

 

Le fruit qu’est la justice, fruit désiré ardemment par tout vrai disciple de Jésus-Christ, n’est produit que par la paix ; il est donc moissonné seulement par ceux qui sèment la paix.

 

« Ainsi donc, recherchons ce qui contribue à la paix et à l’édification mutuelle »

(Romains 14: 19).

 

 

12 L’adultère spirituel (4: 1-6)

 

Le bon fruit de la sagesse qui vient d’en haut, c’est la paix (3: 17, 18). Mais parmi les lecteurs de Jacques il y avait des luttes et des querelles, ou plutôt, suivant le sens du grec, des disputes de mots qui aboutissaient à des querelles. Plus tard, écrivant à Timothée (1 Timothée 6: 3-5), Paul a dû condamner ces mêmes erreurs chez ceux qui avaient « la maladie des questions oiseuses et des disputes de mots, d’où naissent l’envie, les querelles, les calomnies, les mauvais soupçons, les vaines discussions d’hommes corrompus d’entendement, privés de la vérité, et croyant que la piété est une source de gain ».

 

Quelle est l’origine de ces disputes, de ces querelles ?

 

« D’au viennent les luttes, et d’où viennent les querelles parmi vous ? »

(Jacques 4: 1).

Pas de Dieu, évidemment, car elles sont le fruit non de la sagesse divine mais de la sagesse terrestre (voir 3: 13-15). Elles viennent, en effet, de la source que Jacques a déjà identifiée (1: 13-15) comme origine de toute pensée et de toute action mauvaises — de la convoitise qui habite en l’homme lui-même :

 

« N’est-ce pas de vos passions qui combattent dans vos membres ? »

(4: 1).

Paul parle de la guerre qui se livre dans nos membres entre les convoitises chamelles et les désirs spirituels (Romains 7: 22, 23) :

 

« Je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur ; mais je vois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres ».

Et Pierre nous exhorte (I Pierre 2: 11) à nous abstenir des

 

« convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme ».

 

« Vous convoitez, et vous ne possédez pas ; vous êtes meurtriers et envieux, et vous ne pouvez pas obtenir ; vous avez des querelles et des luttes, et vous ne possédez pas, parce que vous ne demandez pas »

(Jacques 4: 2).

Les convoitises qui combattaient dans les membres des lecteurs de Jacques les incitaient d’abord à rechercher le gain et la prééminence ; à l’instar des disciples dont Paul a écrit à Timothée (1 Timothée 6: 4), ils croyaient en effet « que la piété est une source de gain ». Ils convoitaient, mais ils ne possédaient pas : ainsi ils devenaient des meurtriers, nourrissant des pensées envieuses et pleines de malice envers leurs frères et leurs sœurs et provoquant des disputes et des querelles.

 

Le mot de meurtriers réclame notre attention. Dans le sermon sur la montagne Jésus dit que l’homme qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur ; et que celui qui se met en colère contre son frère est dans le même état que celui qui l’a tué (Matthieu 5: 27, 28, 21-23). L’apôtre Jean déclare (1 Jean 3; 15) que

 

« quiconque hait son frère est un meurtrier ».

 

Ainsi il s’ensuit que, parmi les disciples à qui Jacques écrit, ceux qui sont excités par la convoitise du gain et de la prééminence, se constituent devant Dieu « meurtriers et envieux ». Pourtant, il reste toujours possible que Jacques emploie le mot de meurtriers avec une signification littérale aussi : car, d’abord, les faux disciples pourraient bien entraîner par leurs actions la mort spirituelle des âmes mal affermies qu’ils séduisaient ; et, en plus, ils étaient fort capables de provoquer la mort physique de leurs victimes, ou en les réduisant à une misère extrême (voir 5: 6), ou, dans le cas des âmes sensibles, par l’effet des querelles et des discordes continuelles.

 

La convoitise, le meurtre, l’envie, les disputes, les querelles... et jamais on n’arrivait à obtenir ce qu’on désirait. Et pourquoi ? Tout simple-ment, dit Jacques, parce qu’on ignorait Dieu :

 

« En toute chose faites connaître vos besoins à Dieu par des prières et des supplications, avec des actions de grâces »

(Philippiens 4: 6).

On peut facilement imaginer la réponse des faux disciples : « Mais vous avez tort ; nous prions toujours ; nous ne cessons de demander ! ». Peut-être ! Ils demandaient en quelque sorte, mais ils ne recevaient pas parce qu’ils ignoraient la condition essentielle de la vraie prière, déjà expliquée plus haut (1: 5-8). Il faut que l’on

 

« demande avec foi, sans douter » ;

 

l’homme irrésolu et inconstant, dont les pensées sont divisées entre Dieu et Mammon, ne recevra rien du Seigneur :

 

« Vous demandez, et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal, dans le but de satisfaire vos passions »

(Jacques 4: 3).

Cette accusation mène naturellement dans les versets suivants à la condamnation sévère de ceux qui essayaient de partager leur confiance entre Dieu et leurs intérêts mondains et charnels, condamnation déjà exprimée si énergiquement dans les versets auxquels nous venons de faire allusion (1: 5-8).

 

« Adultères que vous êtes ! » Il est possible que quelques-uns des faux disciples aient été des adultères dans un sens littéral (voir 2 Pierre 2: 13, 14) ; mais ce n’est pas dans ce sens que Jacques emploie le mot ici. En effet, il fait usage d’une métaphore violente qui est, d’ailleurs, assez répandue dans l’Écriture. Dans l’Ancien Testament, Dieu parle de la nation comme de Son épouse :

 

« Car ton créateur est ton époux »

(Ésaïe 54: 5).

Lorsque la nation lui a tourné le dos pour adorer des idoles, Dieu a indiqué Son dégoût en employant le langage violent de l’adultère. L’infidélité de la nation envers Dieu est comparée à l’adultère d’une épouse. Lisez, par exemple, Jérémie 3, Ézéchiel 16 et 23, et Osée 2. Jérémie parle des « adultères » de « l’infidèle Israël » (3: 8) ; Ézéchiel décrit les alliances idolâtres faites avec les

cultes d’Égypte et d’Assyrie comme « l’œuvre d’une maîtresse prostituée » ; et il dénonce l’erreur de la nation en disant : « Tu as été la femme adultère, qui reçoit des étrangers au lieu de son mari » (16: 30, 32). Utilisant cette même métaphore frappante, Jésus condamne les Juifs de son époque comme une « génération méchante et adultère » (Matthieu 12: 39).

 

Ainsi on voit que l’infidélité envers Dieu, c’est un adultère spirituel, et Jacques emploie ce mot violent pour indiquer la vraie nature pernicieuse et dégoûtante de l’inconstance de quelques-uns parmi ses lecteurs. Ils s’étaient dédiés au service de Dieu ; ils s’étaient constitués en effet l’épouse de Dieu ; en essayant en même temps de satisfaire leurs convoitises charnelles, ils brisaient le lien qui les unissaient à Dieu — ils devenaient des adultères :

 

« Adultères que vous êtes! ne savez-vous pas que l’amour du monde est inimitié contre Dieu? Celui donc qui veut être ami du monde se rend ennemi de Dieu »

(Jacques 4: 4).

Impossible de servir deux maîtres ; impossible de rester fidèle à Dieu et à Mammon.

 

« Car l’affection de la chair est inimitié contre Dieu, parce qu’elle ne se soumet pas à la loi de Dieu, et qu’elle ne le peut même pas »

(Romains 8: 7).

« Car quel rapport y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? ou qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord y a-t-il entre Christ et Bélial ? Ou quelle part a le fidèle avec l’infidèle ? Quel rapport y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles ? Car nous sommes le temple du Dieu vivant »

(2 Corinthiens 6: 14-16).

Revenons à Jacques (4: 5) :

 

« Croyez-vous que l’Écriture parle en vain ? C’est avec jalousie que Dieu chérit l’esprit qu’il a fait habiter en nous »

Ce n’est pas ici qu’il cite les termes propres d’un seul passage de l’Écriture ; il fait plutôt allusion au sens général de plusieurs passages, où il est question des soins jaloux et constants avec lesquels Dieu garde et nourrit le nouvel homme spirituel qu’Il a engendré dans Ses élus. Il ne veut pas que ce nouvel homme périsse à cause de notre infidélité, de notre adultère. Notons bien que la jalousie n’est pas toujours un mauvais attribut : Paul parle de la «jalousie de Dieu » qu’il éprouve à l’égard des Corinthiens (2 Corinthiens 11: 2), et il peut justement qualifier cette jalousie : « de Dieu », parce que c’est la manifestation chez Paul d’un attribut divin.

 

Dans les passages de l’Ancien Testament auxquels nous venons de faire allusion, et où il est question de l’adultère spirituel d’Israël, nous devons noter comment les prophètes soulignent la miséricorde et l’amour de Dieu (voir Jérémie 3: 15 ; Ézéchiel 16: 3-14 ; et aussi Deutéronome 32: 10-21). En effet, c’est à cause de Sa jalousie à l’égard de Ses élus que Dieu les châtie de temps à autre, pour qu’ils retournent à leur fidélité originale :

 

« Je te jugerai comme on juge les femmes adultères ... Je ferai cesser ainsi ta débauche »

(Ézéchiel 16: 38-43).

Dieu qui s’est décrit aux Israélites comme « un Dieu jaloux » ne supporte pas qu’on adore d’autres dieux ; Il demande chez Ses enfants un dévouement entier et exclusif.

 

C’est en pensant au puissant désir de Dieu pour le retour de Son épouse égarée que Jacques ajoute :

 

« Il accorde, au contraire, une grâce plus excellente ; c’est pourquoi l’Écriture dit :

Dieu résiste aux orgueilleux,

Mais il fait grâce aux humbles »

(verset 6).

Non seulement l’Écriture dit juste en parlant du souci jaloux de Dieu ; elle indique en plus que Dieu accorde une grâce même plus excellente que celle-là :

 

la grâce de la miséricorde et du pardon des péchés pour ceux qui s’humilient et qui se repentent. C’est pour indiquer cela que l’Écriture dit (Proverbes 3: 34) :

 

« Il se moque des moqueurs, (Dieu résiste aux orgueilleux) Mais il fait grâce aux humbles ».

C’est de l’exhortation qui coule de cette assurance que nous essaierons de traiter dans notre prochain chapitre.

 

 

13 L’humilité précède la gloire (4: 7-10)

 

« Dieu résiste aux orgueilleux,

Mais il fait grâce aux humbles »

 

— proverbe que Jacques a rappelé au souvenir de ses lecteurs dans le verset 6 ; proverbe, d’ailleurs, qui évoque les paroles émouvantes d’Ésaïe (57: 15) :

 

« Car ainsi parle le Très-Haut,

Dont la demeure est éternelle et dont le nom est saint :

J’habite dans les lieux élevés et dans la sainteté ;

Mais je suis avec l’homme contrit et humilié,

Afin de ranimer les esprits humiliés,

Afin de ranimer les cœurs contrits ».

C’est de l’exhortation qui coule de cette pensée que Jacques traite dans les versets 7 à 10. L’essentiel, tout évidemment, c’est que l’on s’humilie devant Dieu :

 

« Soumettez-vous donc à Dieu »

(verset 7).

Mais le corollaire de la soumission à Dieu, c’est la résistance à l’ennemi de Dieu — à cette puissance habitant en nos membres qui lutte contre la loi de Dieu et qui nous rend « captifs de la loi du péché » (Romains 7: 23) ; puissance déjà identifiée plus haut (Jacques 1: 13-15) et appelée là « la convoitise ». « Ne donnez pas accès au diable » écrit Paul aux Éphésiens (4: 27). « Résistez au diable, » dit Jacques, « et il fuira loin de vous » (4: 7) : assurance confirmée par l’expérience de Jésus dans le désert (Matthieu 4: 11 : après la tentation « le diable le laissa ») et appuyée par l’apôtre Jean (I Jean 5: 18):

 

« Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pratique pas le péché ; mais celui qui est né de Dieu se garde lui-même, et le malin ne le touche pas ».

« Résistez au diable et il fuira loin de vous »,

 

mais, pour faire contraste :

 

« Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous »

(verset 8).

Il est essentiel de comprendre que c’est Dieu qui s’est approché tout d’abord de l’homme pécheur, en prenant des mesures pour lui couvrir les péchés. L’amour, dit Jean, consiste essentiellement,

 

« non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés »

(1 Jean 4: 10).

Ce n’est qu’en vertu de cet arrangement que nous pouvons nous approcher de Dieu:

 

« Étant... justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, à qui nous devons d’avoir eu par la foi accès à cette grâce »

(Romains 5: 1,2).

Mais après que Dieu nous a appelés pour participer à cette grâce, il nous incombe toujours de répondre à Son invitation, de nous approcher de Lui de notre côté et de demeurer en Lui. Du vrai chrétien on peut dire, comme on a dit d’Hénoc (Genèse 5: 24), qu’il marche avec Dieu.

 

Il arrive quelquefois qu’un homme marche avec Dieu pendant quelque temps, puis qu’il Lui tourne volontairement le dos ; ou bien, pour changer de métaphore, qu’il rejette la couverture que Dieu lui a donné pour cacher ses péchés. Or, Dieu est toujours et entièrement juste ; Il ne peut pas regarder sympathiquement le péché :

 

« Tes yeux sont trop purs pour voir le mal,

Et tu ne peux pas regarder l’iniquité »

(Habakuk 1: 13).

Ainsi il s’ensuit que Dieu doit enfin abandonner l’homme, ou la nation, qui rejette continuellement Ses commandements. C’est ce dit le prophète Azaria à Asa, roi de Juda :

 

« Écoutez-moi Asa, et tout Juda et Benjamin ! L’Éternel est avec vous quand vous êtes avec lui ; si vous le cherchez, vous le trouverez ; mais si vous l’abandonnez, il vous abandonnera »

(2 Chroniques 15: 1, 2).

En fait, la nation d’Israël s’est montrée souvent récalcitrante devant la patience de Dieu ; Malachie la réprimande avec force :

 

« depuis le temps de vos pères, vous vous êtes écartés de mes ordonnances,

Vous ne les avez point observées »

(Malachie 3: 7).

Mais Dieu « prend plaisir à la miséricorde », Il est toujours prêt à pardonner l’iniquité, à oublier les péchés (voir Michée 7: 18,19) ; ainsi Malachie continue :

 

« Revenez à moi, et je reviendrai à vous,

Dit l’Éternel des armées ».

 

Et pendant la longue histoire de la désobéissance de la nation, les prophètes ont souvent ordonné aux Israélites de revenir de leur mauvaise voie pour être de nouveau bénis par Dieu (voir, par exemple, Jérémie 25: 5 ; 35: 15).

 

Ainsi, comme quelques-uns parmi les lecteurs de Jacques, ceux qui se sont éloignés de Dieu n’ont qu’à se repentir et qu’à se rapprocher de Lui, pour qu’Il se rapproche d’eux :

 

« Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous ».

 

Il est néanmoins essentiel que le rapprochement soit sincère, sans aucune trace de l’inconstance, de l’irrésolution, de l’hypocrisie que Jacques a déjà condamnées (1: 5-8 ; 4: 3,4).

 

« L’Éternel est près de tous ceux qui l’invoquent »,

 

dit le Psalmiste,

 

« De tous ceux qui l’invoquent avec sincérité ».

 

Toujours Jacques revient à cette idée de l’inconstance, de l’irrésolution, comme à la vraie source des maux qui se manifestent chez ses lecteurs. Ainsi il continue son exhortation, les conjurant de nettoyer les mains de tout péché et le cœur de toute irrésolution :

 

« Nettoyez vos mains, pécheurs ; purifiez vos cœurs, hommes irrésolus »

(Jacques 4: 8).

La loi de Moïse ordonnait aux sacrificateurs de se sanctifier et de se laver les mains avant de se présenter devant Dieu :

 

« Que les sacrificateurs, qui s’approchent de l’Éternel,se sanctifient aussi, de peur que l’Éternel ne les frappe de mort... Aaron et ses fils se laveront les mains et les pieds. Lorsqu’ils entreront dans la tente d’assignation, ils se laveront... afin qu’ils ne meurent point ; et aussi lorsqu’ils s’approcheront de l’autel »

(Exode 19: 22 ; 30: 19-21).

Or, ce lavement des mains et des pieds, c’était une action symbolique pour indiquer aux Israélites la nécessité de la repentance, de la purification personnelle avant de pouvoir s’approcher de Dieu. Mais de telles actions devenaient vite automatiques et vides de sens ; elles cessaient enfin de porter aucune relation à la vie journalière d’Israël. A l’époque d’Ésaïe, Dieu a condamné avec force l’hypocrisie du peuple :

 

« Qu’ai-je affaire de la multitude de vos sacrifices ? dit l’Éternel...

Quand vous venez vous présenter devant moi,

Qui vous demande de souiller mes parvis ?

Cesser d’apporter de vaines offrandes :

J’ai en horreur l’encens,

Les nouvelles lunes, les sabbats et les assemblées ;

Je ne puis voir le crime s’associer aux solennités...

Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux ;

Quand vous multipliez les prières, je n’écoute pas :

Vos mains sont pleines de sang »

(Ésaïe 1: 11-15).

Il les exhorte à se laver, à se purifier ; et il paraît bien ici, comme chez Jacques, que le lavement et la purification dont Il parle se rapportent aux actions, à la vie entière, de ses auditeurs :

 

« Lavez-vous, purifiez-vous,

Ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions ;

Cessez de faire le mal.

Apprenez à faire le bien, recherchez la justice,

Protégez l’opprimé ;

Faîtes droit à l’orphelin,

Défendez la veuve »

(versets 16, 17).

Jésus a condamné les pharisiens et les scribes de sa génération parce qu’ils manifestaient la même attitude que leurs pères de l’époque d’Ésaïe (Matthieu 15:1-9) ; il condamne leur inconstance à propos du lavement des mains et déclare :

 

« Hypocrites, Ésaïe a bien prophétisé sur vous, quand il a dit :

Ce peuple m’honore des lèvres,

Mais son cœur est éloigné de moi,

C’est en vain qu’ils m’honorent ».

Dans l’exhortation de Jacques, donc, « les mains » représentent les actions, la conduite ; et « le cœur » les pensées et les intentions. Nous remarquons un usage identique de ces mots chez David :

 

« Je lave mes mains dans l’innocence

Et je vais autour de ton autel, ô Éternel »

(Psaume 26: 6) ;

chez Paul :

 

« Je veux donc que les hommes prient en tout lieu, en élevant des mains pures, sans colère ni mauvaises pensées »

(1 Timothée 2: 8) ;

chez Pierre :

 

« Ayant purifié vos âmes en obéissant à la vérité pour avoir un amour fraternel sincère, aimez-vous ardemment les uns les autres, de tout votre cœur »

(1 Pierre 1: 22) ;

et surtout dans le Psaume 24, aux versets 3 et 4 :

 

« Qui pourra monter à la montagne de l’Éternel?

Qui s’ élèvera jusqu’à son lieu saint?

Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur ».

Il nous semble presque certain que Jacques évoque ces paroles du Psaume. (Voir aussi 1 Jean 3: 2, 3.)

 

L’exhortation de Jacques, c’est donc essentiellement un appel à la repentance, à un changement d’attitude de la part de ses lecteurs (ou de quelques-uns parmi eux) :

 

« Sentez votre misère ; soyez dans le deuil et dans les larmes ; que votre rire se change en deuil, et votre joie en tristesse »

(Jacques 4: 9)

exhortation à une affliction sincère de l’esprit, à l’instar de celle d’Ésaïe 22: 12 et de celle que Joël a prophétisée (2: 12-14) ; affliction qualifiée par Jésus de source de consolation et de paix (Matthieu 5: 4) :

 

« Heureux les affligés car ils seront consolés ! ».

 

Le rire et la joie dont Jacques parle sont, bien entendu, ceux qui proviennent de la gaieté folle et inconsidérée, condamnée par Ésaïe (22: 12,13) :

 

« Le Seigneur, l’Éternel des armées, vous appelle en ce jour

A pleurer et à vous frapper la poitrine,

A vous raser la tête et à ceindre le sac.

Et voici de la gaieté et de la joie !

On égorge des bœufs et l’on tue des brebis,

On mange de la viande et l’on boit du vin :

Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ! ».

(Voir aussi Amos 8: 10 ; Luc 6: 25.) L’attitude que Jacques exhorte ses lecteurs à prendre, c’est justement celle du publicain dans la parabole de Jésus (Luc 18: 9-14) : il

 

« n’osait même pas lever les yeux au ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : Ô Dieu, sois apaisé envers moi, qui suis un pécheur ».

Quelle est la distinction essentielle dans cette parabole entre l’attitude du pharisien et celle du publicain ? Évidemment que celui-là était plein d’orgueil, se croyant juste, tandis que celui-ci était vraiment humble, se reconnaissant pécheur. Or, l’humilité est la base de toute vraie repentance ;

 

ainsi Jacques revient dans le verset 10 à la pensée avec laquelle il a commencé son exhortation — à la nécessité de l’humilité :

 

« Humiliez-vous devant le Seigneur, et il vous élèvera ».

 

Il est intéressant de remarquer les parallèles étroits entre le langage de Jacques et celui de Pierre (comparez, par exemple Jacques 1: 18-21 avec 1 Pierre 1: 25 et 2: 3) ; constatons ici que Pierre reproduit dans sa première lettre (5: 5, 6) presque exactement le langage de Jacques 4: 6-10 :

 

« Et tous, dans vos rapports mutuels, revêtez-vous d’humilité ; car

Dieu résiste aux orgueilleux,

Mais il fait grâce aux humbles.

Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, afin qu’il

vous élève au temps convenable »

(1 Pierre 5: 5, 6).

C’est un principe souvent réitéré dans l’Écriture, que l’élévation et la gloire proviennent de l’humilité : « L’humilité précède la gloire » , dit le proverbe (Proverbes 15: 33 ; 18: 12) ; et encore (Proverbes 22: 4) :

 

« Le fruit de l’humilité, de la crainte de l’Éternel,

C’est la richesse, la gloire et la vie ».

Jésus a plusieurs fois déclaré que

 

« quiconque s’élèvera sera abaisse, et quiconque s’abaissera sera élevé »

(voir, par exemple, Matthieu 23: 12).

Aux Philippiens, Paul explique comment ce principe s’est manifesté dans l’expérience de Jésus :

 

« Il a paru comme un vrai homme, il s’est humilie lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom »

(Philippiens 2: 7-9).

Et l’apôtre nous exhorte :

 

« Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ »

(Philippiens 2: 5).

Si nous voulons devenir participants de la gloire de Jésus, nous devrions faire bien attention à cette exhortation.

 

« Humiliez-vous devant le Seigneur, et il vous élèvera ».

 

 

14 La médisance et la parole présomptueuse (4: 11-17)

 

Dans ces versets Jacques revient à la condamnation d’un péché habituel chez ses lecteurs, et, en effet, chez toute l’humanité — c’est-à-dire, le mauvais usage de la langue. Il vient de parler de l’irrésolution et de l’humilité ; et les deux erreurs qu’il va condamner proviennent justement de l’irrésolution et du manque d’humilité.

 

D’abord il traite de la médisance et de la calomnie :

 

« Ne parlez point mal les uns des autres, frères. Celui qui parle mal d’un frère, ou qui juge son frère, parle mal de la loi et juge la loi. Or, si tu juges la loi, tu n’es pas observateur de la loi, mais tu es un juge »

(Jacques 4: 11).

La médisance et la calomnie sont parmi les caractéristiques du païen non régénéré, tares que le chrétien doit fuir (Romains 1: 30 ; Colossiens 3: 8) ; infirmités, d’ailleurs, condamnées par la loi royale (Jacques 2: 8) qui nous ordonne d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. Aux Israélites Dieu a commandé par Moïse :

 

« Tu ne répandras point de calomnies parmi ton peuple... Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

(Lévitique 19: 16-18).

Et comme nous l’avons déjà vu (Chapitre 8) Jésus a confirmé ce commandement, le rendant obligatoire pour tout chrétien. La médisance paraît très souvent sous la forme de jugements précipités et inconsidérés sur nos prochains ; comme le dit Jacques, on « juge son frère ». A ce propos Jésus déclare (Matthieu 7: 1-3) :

 

« Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez. Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? »

Pour deux raisons nous ne devrions pas répandre des jugements calomnieux ou peu charitables au sujet de nos prochains : la première, à laquelle Jésus fait allusion ici, c’est que nous péchons tous de plusieurs manières et il ne nous est point convenable d’attirer l’attention sur les défauts, ou réels ou imaginés, d’autrui. Paul dit aux Juifs à Rome (Romains 2: 1) :

 

« Ô homme, qui que tu sois, toi qui juges, tu es donc inexcusable ; car, en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu fais les mêmes choses ».

Nul homme, en effet, n’a le droit de condamner les autres ; voilà une fonction qui n’appartient qu’à Dieu seul, à celui qui seul est juste et sait juger avec justice. Et voici la seconde raison pour laquelle l’Écriture condamne la médisance : celui qui parle mal de son prochain, dit Jacques, ou qui juge son prochain, parle mal, implicitement, de la loi qui condamne la médisance ; il juge la loi. Il cesse, en effet, d’être observateur de la loi et en devient juge. Ainsi il s’arroge, à lui-même, les fonctions de législateur et de juge qui appartiennent à Dieu seul — espèce d’erreur qui indique un manque total d’humilité :

 

« Un seul est législateur et juge, c’est celui qui peut sauver et perdre ; mais toi, qui est-tu, qui juges le prochain ? »

(Jacques 4: 12).

Jésus nous rappelle le pouvoir du jugement de Dieu (Matthieu 10: 28) :

 

« Ne craignez pas pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne ».

Et Ésaïe dit (Ésaïe 33: 22) :

 

« Car l’Éternel est notre juge, L’Éternel est notre législateur, L’Éternel est notre roi ; C’est lui qui nous sauve »

— déclaration citée très clairement dans les paroles par lesquelles Jacques condamne la médisance et le jugement humain. Paul écrit aux Corinthiens (1 Corinthiens 4: 3-5) :

 

« Pour moi, il m’importe fort peu d’être juge par vous, ou par un tribunal humain... Celui qui me juge, c’est le Seigneur. C’est pourquoi ne jugez de rien avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres, et qui manifestera les desseins des cœurs. Alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui sera due ».

C’est là une attitude sage et rangée que tout chrétien devrait cultiver assidûment.

 

La seconde erreur dans l’usage de la langue que Jacques condamne dans ces versets, c’est la parole présomptueuse :

 

« A vous maintenant, qui dites : Aujourd’hui ou demain nous irons dans telle ville, nous y passerons une année, nous trafiquerons et nous gagnerons »

(Jacques 4: 13).

— Erreur, celle-ci, qui montre non seulement un manque d’humilité, mais aussi l’irrésolution. Car, d’abord, il est bien évident qu’il s’agit ici des frères qui s’occupaient trop de projets matériels : « nous trafiquerons, et nous gagnerons »

 

— préoccupation tout à fait naturel chez les Juifs dispersés, et dont nous pouvons tous être plus ou moins coupables ; mais préoccupation condamnée néanmoins dans l’Écriture comme manque de foi. Jésus nous dit de ne pas nous inquiéter du lendemain (Matthieu 6: 25-34) et ce commandement suit de près son avertissement contre l’irrésolution (verset 24) :

 

« Nul ne peut servir deux maîtres ... Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ».

Les paroles de Jacques nous rappellent aussi la parabole de l’homme riche (Luc 12: 15-21) :

 

« Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté. Et il raisonnait en lui-même, disant : Que ferai-je ? car je n’ai pas de place pour rentrer ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai : j’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens ; et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois et te réjouis. Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit même ton âme te sera redemandée ; et ce que tu as préparé, pour qui sera-ce ? Il en est ainsi de celui qui amasse des trésors pour lui-même, et qui n’est pas riche pour Dieu »

La parabole de Jésus, de même que l’exhortation de Jacques, attire l’attention sur un autre aspect de cette erreur : les paroles de l’homme riche aussi bien que celles de l’homme à qui Jacques s’adresse, indiquent un manque total d’humilité : il n’est pas convenable de parler dogmatiquement de ce que l’on fera demain — voilà de la présomption, de l’arrogance : car c’est Dieu seul qui sait ce qui va arriver à l’avenir :

 

« Vous... ne savez pas ce qui arrivera demain ! car, qu’est-ce que votre vie ? vous êtes un vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite disparaît »

(Jacques 4: 14).

L’Écriture parle souvent de la courte durée et de l’incertitude de la vie humaine (voir Jacques 1: 10), employant souvent la métaphore de la vapeur, du souffle. Job se plaint de ce que sa vie est un souffle (7: 7) ; le psalmiste déclare que ses jours « s’évanouissent en fumée » (Psaume 102:4), et que

 

« L’homme est semblable à un souffle, Ses jours sont comme l’ombre qui passe »

(Psaume 144: 4).

Quelle folie, alors, de parler avec présomption de ce que nous allons faire à l’avenir, même un avenir tout proche.

 

« Ne te vante pas du lendemain, »

 

dit le proverbe (27: 1) auquel Jacques paraît vouloir nous renvoyer, « Car tu ne sais pas ce qu’un jour peut enfanter ».

 

Comment, donc, devrions-nous parler de ce que nous comptons faire à l’avenir?

 

« Vous devriez dire..., Si Dieu le veut, nous vivrons, et nous ferons ceci ou cela »

(Jacques 4: 15).

Notons l’exemple de Paul à cet égard. Lorsqu’il était de passage à Éphèse, en route pour Jérusalem, on l’a prié de prolonger son séjour. Mais (Actes 18: 21)

 

« il n’y consentit point, et il prit congé d’eux, en disant : Il faut absolument que je célèbre la fêle prochaine à Jérusalem. Je reviendrai vers vous, si Dieu le veut ».

Aux Corinthiens il a écrit (1 Corinthiens 4: 19) :

 

« J’irai bientôt chez vous, si c’est la volonté du Seigneur » ;

 

et plus tard (16: 7) :

 

« Je ne veux pas cette fois vous voir en passant, mais j’espère demeurer quelque temps auprès de vous, si le Seigneur le permet »

Aux Hébreux il a déclaré (6: 1-3) :

 

« Laissant les éléments de la parole de Christ, tendons à ce qui est parfait, sans poser de nouveau le fondement du renoncement aux œuvres mortes, de la foi en Dieu... C’est ce que nous ferons, si Dieu le permet ».

Il est donc essentiel que le chrétien se rende compte de la volonté du Seigneur dans toutes ses actions et dans toutes ses intentions. En pensant et en parlant présomptueusement, dit Jacques (verset 16), nous nous glorifions dans nos pensées orgueilleuses.

 

« C’est chose mauvaise que de se glorifier de la sorte. »

 

Et Jacques termine cette section de sa lettre en soulignant la responsabilité grave qui incombait à ses lecteurs : ils reconnaissaient, tout au moins théoriquement, la courte durée de la vie de l’homme et l’incertitude de son avenir, mais cette connaissance n’exerçait aucun effet ni sur leurs pensées ni sur leurs paroles. Mais connaître la vérité, c’est devenir responsable devant Dieu. Jésus dit, à l’égard de ceux qui le rejetaient (Jean 15: 22) :

 

« Si je n’étais pas venu et que je ne leur aie point parlé, ils n’auraient pas de péché ; mais maintenant ils n’ont aucune excuse de leur péché ».

Et Jacques de son côté (verset 17) :

 

« Celui donc qui sait faire ce qui est bien, et qui ne le fait pas commet un péché ».

 

 

 

15 Les mauvais riches (5; 1-6)

 

Dans le chapitre précédent nous avons noté qu’en condamnant la parole présomptueuse Jacques pense surtout à ceux qui se préoccupaient de projets matériels et commerciaux. Nous trouvons donc tout à fait naturel qu’il s’adresse ensuite aux riches parmi ses lecteurs, condamnant ceux d’entre eux qui amassaient des trésors et qui se conduisaient d’une manière oppressive et tyrannique. En les avertissant du jugement qui les menace il fait usage d’un langage tout à fait caractéristique des prophètes de l’Ancien Testament, langage fort grave et solennel :

 

« A vous maintenant, riches ! Pleurez et gémissez, à cause des malheurs qui viendront sur vous »

(Jacques 5: 1).

Ce mot « viendront » signifie dans le grec une approche imminente et soudaine : les malheurs étaient à la porte.

 

Jacques a déjà parlé (1: 9-11) de la nature passagère des richesses, et les Proverbes nous indiquent leur futilité au jour du jugement :

 

« Au jour de la colère, la richesse ne sert à rien ;

Mais la justice délivre de la mort ...

Celui qui se confie dans ses richesses tombera,

Mais les justes verdiront comme le feuillage »

(Proverbes 11:4,28).

Jésus a souvent condamné la tendance, fort naturelle chez les hommes, de se confier dans les richesses terrestres :

 

« Malheur à vous, riches, car vous avez votre consolation ! Malheur à vous qui êtes rassasiés, car vous aurez faim ! Malheur à vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et dans les larmes ! »

(Luc 6: 24,25).

On peut, si l’on veut, amasser des trésors et vivre dans les délices sur la terre ; mais dans ce cas notre prospérité se borne au présent : l’avenir ne nous promet rien ; nous avons déjà notre consolation !

 

« Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent »

(Matthieu 6: 19, 20).

C’est à ces paroles que Jacques fait évidemment allusion en avertissant les riches parmi ses lecteurs de l’arrivée du jour de la teigne et de la rouille (versets 2 et 3) :

 

« Vos richesses sont pourries, et vos vêtements sont rongés par les teignes. Votre or et votre argent sont rouillés ; et leur rouille s’élèvera en témoignage contre vous, et dévorera vos chairs comme un feu ».

Dans le jugement qui venait sur les mauvais riches, la rouille de leurs trésors témoignerait, d’abord, la confiance qu’ils avaient eue dans les richesses terrestres ; témoignerait aussi, en démontrant la nature passagère de ces richesses, leur erreur en les amassant ; ainsi ce témoignage entraînerait leur condamnation et leur destruction, dévorant leur chair « comme un feu » — similitude qui nous rappelle les paroles de Jésus (Marc 9: 43-46) sur le feu de la géhenne « qui ne s’éteint point » (voir Chapitre 10).

 

Il y avait une profonde ironie dans la situation des mauvais riches : à l’instar de l’homme riche dans la parabole de Luc (voir Chapitre 14) ils se préoccupaient d’amasser des trésors au jour même de leur jugement :

 

« Vous avez amassé des trésors dans les derniers jours »

(Jacques 5: 3)

— expression qui se rapporte surtout à la génération qui verra le retour du Seigneur, mais qui peut se dire aussi de l’époque qui a commencé par la première venue de Jésus et qui a été terminée par la destruction de Jérusalem en l’an 70 : époque, surtout pendant sa dernière partie, de jugement sur le monde juif et de persécution pour les chrétiens. Plusieurs années après Jacques, Pierre écrit :

 

« C’est le moment où le jugement va commencer par la maison de Dieu. or, si c’est par nous qu’il commence, quelle sera la fin de ceux qui n’obéissent pas à l’Évangile de Dieu? »

(1 Pierre 4: 17-19).

— Époque, donc, où les mauvais riches allaient voir très clairement la folie de leur confiance dans les richesses terrestres.

 

Mais les riches ne s’en tenaient pas à trop se préoccuper de leurs trésors passagers ; ils employaient en outre le pouvoir qui en provenaient pour opprimer ceux qui dépendaient d’eux :

 

« Voici, le salaire des ouvriers qui ont moissonné dans vos champs, et dont vous les avez frustrés, crie »

(Jacques 5:4).

Voilà une erreur de très vieille date parmi les Juifs, et qui pouvait très bien continuer à se manifester parmi eux après leur conversion ; erreur, cependant, condamnée avec force par la loi royale :

 

« Tu n’opprimeras point ton prochain, et tu ne raviras rien par violence. Tu ne retiendras point jusqu’au lendemain le salaire du mercenaire [...] Tu aimeras ton prochain comme toi-même »

(Lévitique 19: 13,18).

« Tu n’opprimeras point le mercenaire, pauvre et indigent, qu’il soit l’un de tes frères, ou l’un des étrangers demeurant dans le pays, dans tes portes. Tu lui donneras le salaire de sa journée avant le coucher du soleil ; car il est pauvre, et il lui tarde de le recevoir. Sans cela, il crierait à l’Éternel contre toi, et tu te chargerais d’un péché »

(Deutéronome 24: 14,15).

L’on voit que les riches auxquels Jacques écrivait étaient coupables de ce péché, et qu’il fait allusion aux paroles de Dieu dans Deutéronome 24 en disant que le salaire des ouvriers « crie », et, ensuite, que « les cris des moissonneurs sont parvenus jusqu’aux oreilles du Seigneur des armées » (Jacques 5: 4). Cette expression, « le Seigneur des armées », indique aussi une liaison étroite avec les paroles du prophète Malachie, qui l’emploie vingt-trois fois, et notamment dans le chapitre 3 (verset 5) en faisant allusion à l’oppression des pauvres :

 

« Je m’approcherai de vous pour le jugement,

Et je me hâterai de témoigner contre les enchanteurs et les adultères,

Contre ceux qui jurent faussement,

Contre ceux qui retiennent le salaire du mercenaire,

Qui oppriment la veuve et l’orphelin,

Qui font tort à l’étranger, et ne me craignent pas,

Dit l’Éternel des armées»

(voir aussi Jérémie 22: 13).

Ce passage contient une grande consolation pour les opprimés, mais un avertissement sévère pour les mauvais riches, vu que les cris des moissonneurs étaient arrivés aux oreilles du Dieu qui est toujours attentif aux cris des justes (Psaume 34: 16), aux oreilles de cet Éternel des armées qui est toujours actif dans l’intérêt de ceux qui l’aiment.

 

Dans le verset 4, c’est l’injustice des riches que Jacques condamne ; dans le verset 5 il condamne leur indulgence égoïste qui présentait un contraste frappant avec la misère des pauvres qui dépendaient d’eux :

 

« Vous avez vécu sur la terre dans les voluptés et dans les délices » ;

 

et de nouveau il souligne l’ironie de leur attitude, vu qu’ils s’abandonnaient à ces délices dans le jour même de leur destruction :

 

« Vous avez rassasié vos cœurs au jour du carnage ».

 

L’injustice, l’intempérance — et enfin la condamnation et le meurtre du juste :

 

« Vous avez condamné, vous avez tué le juste, qui ne vous a pas résisté »

(verset 6).

Le juste, c’est le représentant de ceux parmi les lecteurs de Jacques qui essayaient ardemment d’obéir aux commandements du Maître, et qui pouvaient encourir à plusieurs reprises et pour plusieurs raisons la colère des riches — classe qui comprenait certainement les ouvriers du verset 4. L’allusion à la condamnation du juste nous rappelle ce que Jacques a déjà écrit à ce propos dans le chapitre 2 (verset 6) :

 

« N’est-ce pas les riches qui vous oppriment, et qui vous traînent devant les tribunaux ? »

et nous pouvons très bien imaginer comment les oppressions auxquelles les pauvres étaient assujettis pouvaient entraîner leur mort. Mais en dépit de toute provocation le juste restera fidèle au commandement de Jésus (Matt. 5: 39-45) :

 

« Je vous dis de ne pas résister au méchant. [...] Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les deux ».

D’ailleurs le juste se souvenait de l’exemple de son Maître, de celui qui, « injurié, ne rendait point d’injures, maltraité, ne faisait point de menaces, mais s’en remettait à celui qui juge justement »

(1 Pierre 2: 23).

 

Ainsi, suivant le commandement et l’exemple de Jésus, le juste ne résistait pas aux oppressions du riche. Il se confiait au Seigneur des armées, sachant bien qu’en fin de compte il serait plus que vainqueur par celui qui l’aimait.

 

 

16 La patience (5: 7-11)

 

Après avoir condamné, dans les versets 1 à 6, les oppressions pratiqués par les frères riches, Jacques passe dans les versets suivants à l’encouragement de leurs victimes ; suivant l’enseignement et l’exemple de leur Maître, ils n’avaient pas résisté à ceux qui les opprimaient (Jacques 5: 6), et Jacques les exhorte à supporter toujours leurs maux avec patience. Il va sans dire que l’exhortation a une valeur, non seulement pour les justes opprimés auxquels Jacques l’a adressée principalement, mais pour nous tous qui voulons nous montrer en vérité les enfants de Dieu.

 

« Soyez donc patients, frères, jusqu’à l’avènement du Seigneur »

(Jacques 5: 7) :

Paul (Romains 2: 4) et Pierre (I Pierre 3: 20) nous signalent la patience que montre Dieu envers les hommes pécheurs et sans mérite ; nous aussi, donc, si nous sommes vraiment enfants de Dieu, nous serons patients envers les autres — même envers ceux qui nous haïssent et qui nous persécutent ; ce n’est qu’ainsi que nous nous manifesterons enfants de notre Père qui est dans les cieux.

 

Pour donner encore plus de force à son exhortation, Jacques fait allusion à la patience du laboureur qui attend les fruits de la terre — allusion à ceux qui moissonnent les champs (voir verset 4) :

 

« Voici, le laboureur attend le précieux fruit de la terre, prenant patience à son égard, jusqu’à ce qu’il ait reçu les pluies de la première et de l’arrière-saison »

(verset 7).

Eux aussi, les disciples du Seigneur, attendaient l’arrivée sur la terre des fruits bien précieux de la justice et de la paix au retour de leur Maître. Les croyants aussi, de leur côté, doivent attendre avec patience :

 

« Vous aussi, soyez patients, affermissez vos cœurs, car l’avènement du Seigneur est proche »

(verset 8).

« L’avènement du Seigneur est proche. » Il y a des liaisons étroites entre le langage de Jacques dans ces versets et les paroles de Jésus, sur la montagne des Oliviers, quand il parle de son avènement (comparez, par exemple, Matthieu 24: 9, 13 et Jacques 5: 11 ; Matthieu 24: 33 et Jacques 5: 9). Il faut noter bien que dans Matthieu 24 (et aussi dans Marc 13 et Luc 21) Jésus a parlé de deux avènements : d’un avènement définitif et visible lors de l’établissement du royaume de Dieu ; mais aussi, et tout d’abord, d’un avènement préliminaire et invisible pour juger Jérusalem (voir, par exemple, Matthieu 24: 14-21). Or, il est fort significatif que ce soit seulement dans les épîtres adressées aux églises d’origine juive que l’on trouve des déclarations, telle que celle de Jacques, que l’avènement du Seigneur est « proche » (voir, par exemple, Hébreux 10: 36, 37 et 1 Pierre 4: 7 ; comparez 2 Thessaloniciens 2: 1-4). Pour le monde païen l’avènement et le jugement du Seigneur restaient assez éloignés ; mais sur le monde juif viendrait bientôt le jugement prédit par Jésus dans Matthieu 24. C’est à ce jugement-ci que Jacques et Paul et Pierre font allusion lorsqu’ils écrivent aux églises d’origine juive que l’avènement du Seigneur est proche — avènement invisible qui a été manifesté dans la destruction de Jérusalem en l’an 70. Voici une ère de jugement sur les mauvais riches et sur d’autres gens pareils ; ère que les justes pouvaient accueillir comme celle de leur délivrance :

 

« Soyez patients, affermissez vos cœurs, car l’avènement du Seigneur est proche »

(verset 8).

Quelquefois on est assez maître de soi pour ne pas résister à ceux qui nous persécutent, mais on ne peut pas en même temps s’empêcher de murmurer contre eux. Mais murmurer contre un autre, se plaindre l’un de l’autre, c’est juger l’autre ; c’est s’arroger à soi-même la fonction de juge qui appartient, comme nous l’avons déjà vu (Jacques 4: 11, 12 — chapitre 14), à Dieu seul.

 

« Ne vous plaignez pas les uns des autres, frères, afin que vous ne soyez pas jugés » (verset 9).

Voilà une leçon bien difficile à mettre en pratique ; mais au moment même de la provocation la plus sévère, nous devons nous souvenir toujours de notre propre besoin de miséricorde et de pardon. En nous appelant, Dieu s’est montré patient et miséricordieux envers nous, même en l’absence de tout mérite de notre part ; si nous voulons nous montrer Ses enfants, nous devons être patients aussi — même envers ceux qui ne paraissent pas le mériter. Cela implique que nous ne devrions pas nous plaindre d’eux, que dans ce cas, comme dans tout autre, il faut tenir la langue en bride (voir 1: 26 ; 3: 1-12), à plus forte raison parce que pour nous, comme pour les lecteurs de Jacques, « le juge est à la porte ».

 

Pour encourager encore davantage les justes, Jacques leur rappelle la patience qu’avaient montrée les prophètes au milieu de leurs tribulations :

 

« Prenez, mes frères, pour modèles de souffrance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur »

(verset 10) ;

exhortation qui rappelle l’allusion de Paul (Hébreux 11: 36-38) aux souffrances des prophètes qui, par la foi,

 

« subirent les moqueries et le fouet, les chaînes et la prison ; ils furent lapidés, scies, torturés ; ils moururent tués par l’épée ; ils allèrent çà et là, vêtus de peaux de brebis et de peaux de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités [...] errants dans les déserts et tes montagnes, dans les cavernes et les antres de la terre ».

« Voici (dit Jacques, verset 11), nous disons bienheureux ceux qui ont souffert patiemment » ;

paroles qui évoquent vivement l’exhortation du chapitre 1, verset 12 :

 

« Heureux l’homme qui supporte patiemment la tentation ; car, après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment »,

Pour terminer son exhortation sur la patience, Jacques évoque la patience de Job devant les tribulations qui l’affligeaient. « Maudis Dieu et meurs ! » lui a dit sa femme ; mais Job de répondre:

 

« L’Éternel a donné, et l’Éternel a ôté ; que le nom de l’Éternel soit béni! [...] Quoi ! nous recevons de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal ! En tout cela (déclare l’Écriture), Job ne pécha point par ses lèvres »

(Job 1: 21 ; 2: 9, 10).

Et même devant les provocations de ses amis, Job a longtemps montré de la patience ; et enfin il a goûté la miséricorde et la compassion grâce à la fin que le Seigneur lui a accordée, fin qui amenait la purification de son caractère et sa bénédiction matérielle :

 

« Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fin que le Seigneur lui accorda, car le Seigneur est plein de miséricorde et de compassion »

(Jacques 5: 11).

Consolation suprême que celle de savoir, même au milieu des souffrances les plus sévères, même à l’heure des provocations les plus aiguës, que par ces mêmes tentations Dieu accomplit pour nous notre salut éternel. Ainsi nous revenons sur nos pas pour apprécier de nouveau la force de la première exhortation que Jacques nous a adressée ( 1: 2-4) :

 

« Mes frères, regardez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves auxquelles vous pouvez être exposés, sachant que l’épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse parfaitement son œuvre, afin que vous soyez parfaits et accomplis, sans faillir en rien ».

 

 

17 Exhortations diverses (5: 12-20)

 

L’épître de Jacques se termine par quelques exhortations sur des sujets divers ; et d’abord (chapitre 5, verset 12) Jacques traite d’un nouvel abus de la langue :

 

« Avant toutes choses, mes frères, ne jurez ni par le ciel, ni par la terre, ni par aucun autre serment. Mais que votre oui soit oui, et que votre non soit non, afin que vous ne tombiez pas sous le jugement. »

Nous avons noté plusieurs fois que Jacques se montre très au courant du sermon de Jésus sur la montagne, et dans ce verset nous avons une citation manifeste de ce sermon (Matthieu 5: 33-37). Jacques se borne à répéter le commandement, tandis que Jésus ajoute la raison qui est au fond du commandement :

 

« Je vous dis de ne jurer aucunement, ni par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu ; ni par la terre, parce que c’est son marchepied ; ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand roi. Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux rendre blanc ou noir un seul cheveu. Que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin. »

Exhortation à témoigner une modération circonspecte dans l’usage de la langue.

 

« Quelqu’un parmi vous est-il dans la souffrance ? Qu’il prie. Quelqu’un est-il dans la joie ? Qu’il chante des cantiques »

(Jacques 5: 13).

Adorer Dieu, tant par la prière que par les cantiques, c’est la meilleur expression de la souffrance comme de la joie. Dans la souffrance il ne nous convient pas de nous plaindre — ni des hommes ni de Dieu ; nous devons chercher auprès de Dieu la sagesse et la patience susceptibles de nous aider à persévérer jusqu’à la fin. Lorsque nous sommes heureux, il ne nous convient pas non plus de nous livrer à une gaieté déréglée et présomptueuse ; nous devons mettre en pratique le bon conseil de Paul aux Éphésiens (5: 19, 20) :

 

« Entretenez-vous par des psaumes, par des hymnes, et par des cantiques spirituels, chantant et célébrant de tout votre cœur les louanges du Seigneur ; rendez continuellement grâces à Dieu le Père pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. »

« Quelqu’un parmi vous est-il malade ? Qu’il appelle les anciens de l’Église, et que les anciens prient pour lui, en l’oignant d’huile au nom du Seigneur ; la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le relèvera ; et s’il a commis des péchés, il lui sera pardonné »

(Jacques 5: 14,15).

Pendant son ministère Jésus a guéri beaucoup de malades ; après son ascension il n’a pas cessé de faire des guérisons : seulement, il les a accomplies moins directement — par l’opération du saint-Esprit, en utilisant les apôtres et les anciens.

 

« Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre »,

 

a-t-il dit aux apôtres (Matthieu 28: 18, 20) ;

 

« Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. »

 

Ainsi, le don des guérisons était l’un des pouvoirs de l’Esprit qui ont été donnés aux disciples de cette époque « pour l’utilité commune » (1 Corinthiens 12: 7- 11). Il est donc tout à fait naturelle que Jacques ordonne au malade d’appeler les anciens de l’Église, afin qu’ils prient pour lui, « en l’oignant d’huile au nom du Seigneur ». L’huile c’est le remède naturel souvent employé dans les pays orientaux pour soulager les blessures et pour guérir les malades. Nous nous souvenons tous du Samaritain qui a aidé l’homme battu par les brigands ; il lui a bandé les plaies « en y versant de l’huile et du vin » (Luc 10: 34 ; voir aussi Ésaïe 1: 6 ; Jérémie 8: 22, 46: 11). Pendant le ministère de Jésus les apôtres, envoyés par lui deux à deux pour prêcher la repentance, « oignaient d’huile beaucoup de malades et les guérissaient ». Il nous paraît clair que dans ces cas le pouvoir de Dieu, invoqué par les apôtres, a aidé et accéléré la guérison normale et orthodoxe (celle-ci n’étant malheureusement que trop souvent inefficace). Il en était ainsi chez les anciens auxquels Jacques fait allusion : ils oignaient le malade « au nom du Seigneur » ; ils priaient pour lui avec foi et sans douter ; et le pouvoir du Seigneur, invoqué par eux et agissant en eux par le Saint-Esprit, guérissait le malade — le Seigneur le relevait.

 

« Et s’il a commis des péchés, il lui sera pardonné. » Les maladies sont entrées dans le monde à cause du péché ; dans l’Écriture il y a souvent une liaison étroite entre les maladies et le péché (voir, par exemple, Jean 5: 14). Souvent un homme se trouve affligé d’une maladie justement à cause de son propre péché ; et il semble probable que les apôtres possédaient le pouvoir d’infliger sur un frère pécheur une maladie, ou même la mort, en guise de châtiment (voir, par exemple, Actes 5: 1-11 ; 1 Corinthiens 5: 4, 5 et 2 Corinthiens 2: 6-11 ; 1 Corinthiens 11: 27-34). Ce pouvoir est étroitement lié à celui que Jésus a donné aux apôtres avant son ascension (Jean 20: 23) :

 

« Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés ; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ».

Ainsi Jacques, ayant assuré le malade de sa guérison physique, ajoute qu’au cas où la maladie soit associé avec le péché le pardon du péché accompagnera la guérison du corps. Tous les deux, l’apaisement du corps et celui de l’esprit, dépendent naturellement d’une attitude de foi et d’humilité chez le malade.

 

Entre la pensée des versets 14 et 15 et celle des versets 16-18, il y a une liaison étroite, liaison soulignée par le mot « donc » qui introduit ces

 

versets-ci :

 

« Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris ».

La reconnaissance et l’aveu franc du péché, la prière humble et sincère, voilà ce qui est nécessaire pour la guérison, tant de l’esprit que du corps affligé, celui-ci, à cause du péché. De cette pensée Jacques passe tout naturellement à une considération plus genérale de l’efficacité de la prière.

 

« La prière agissante du juste a une grande efficacité. Élie était un homme de la même nature que nous : il pria avec instance pour qu’il ne pleuve point, et il ne tomba point de pluie sur la terre pendant trois ans et six mois. Puis il pria de nouveau, et le ciel donna de la pluie, et la terre produisit son fruit »

(versets 16-18).

« La prière du juste » : il est essentiel de noter que Jacques ne parle pas ici de la justice absolue et sans tache ; en ce sens nul homme n’est juste, selon qu’il est écrit : « Il n’y a point de juste, pas même un seul » (Romains 3: 10). Néanmoins, Dieu impute la justice à l’homme qui croit en Lui, qui essaie de Lui plaire :

 

« Car que dit l’Écriture ? Abraham crut à Dieu, et cela lui fut

imputé à justice. [...] De même David exprime le bonheur de

l’homme à qui Dieu impute la justice sans les œuvres :

Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées,

Et dont les péchés sont couverts !

Heureux l’homme à qui le Seigneur n’impute pas son péché! »

(Romains 4: 6-8).

Ce n’est qu’en ce sens que l’homme peut être juste ; ce n’est qu’en ce sens qu’Élie lui-même était un homme juste. « Homme de la même nature que nous » ses prières avait une grande efficacité justement à cause de sa confiance absolue en Dieu. Et Jacques nous encourage en nous rappelant que ce qui est arrivé dans le cas d’Élie peut arriver aussi dans le nôtre si nous partageons sa confiance en Dieu. L’Ancien Testament ne fait pas une allusion explicite à la prière d’Élie, mais elle est implicite dans l’attitude supplicatoire de 1 Rois 18: 42:

 

« Élie monta au sommet du Carmel ; et. se penchant contre terre, il mit son visage entre ses genoux ».

« Mes frères, si quelqu’un parmi vous s’est égaré loin de la vérité, et qu’un autre l’y ramène, qu’il sache que celui qui ramènera un pécheur de la voie où il s’est égaré sauvera une âme de la mort et couvrira une multitude de péchés »

(Jacques 5: 19, 20).

 

L’Écriture parle souvent de la vie du serviteur de Dieu sous la similitude d’une voie. « Tu me feras connaître le sentier de la vie », dit le Psalmiste (Psaume 16: 11) ; Jésus parle (Matthieu 7: 14) du chemin resserré qui mène à la vie ; et Pierre (2 Pierre 2: 2, 21) fait allusion à la « voie de la vérité » et à « la voie de la justice ». Pendant le premier siècle on parlait souvent du christianisme sous le nom de la Voie (voir, par exemple, Actes 9: 2 (marge) ; 19: 23 ; 24: 14). Pécher, c’est donc errer de la bonne voie :

 

« Telle voie paraît droite à un homme, Mais son issue, c’est la voie de la mort »

(Proverbes 14: 12).

 

« Son issue, c’est la voie de la mort. » Jacques a donc raison de dire que celui qui ramène le pécheur de sa mauvaise voie a sauvé une âme de la mort, ayant couvert la multitude de ses péchés.

 

L’épître se termine d’une manière brusque et expressive, ce qui est d’ailleurs fort caractéristique de son auteur ; ce qui accorde aussi avec le caractère général d’une lettre adressée non à une seule église mais « aux douze tribus qui sont dans la dispersion ». Que Dieu bénisse nos méditations sur cette épître, afin que, recevant avec douceur la parole qui a été plantée en nous, nous la mettions en pratique pour le salut de nos âmes.